Les Amazighs de Libye se réveillent de leur longue léthargie imposée par le régime de Kadhafi tout au long de son règne, puisque même parler tamazight en public était strictement interdit. Double victime de la dictature et du déni identitaire, les Amazighs de Libye ont décidé de faire entendre leur voix en exigeant la constitutionnalisation de leur langue et sa reconnaissance comme langue nationale à l'instar de ce qui a été réalisé en Algérie et au Maroc. Lundi dernier, les militants amazighs ont organisé le 1er Forum amazigh libyen, une rencontre - impensable durant les 41 années de règne de Mouammar Kadhafi - intitulée «Officialisation de la langue amazighe et soutien à l'unité nationale». La conférence, sans précédent en Libye, a débuté avec le nouvel hymne national chanté en arabe et en tamazight. «Nous ne croyons pas aux partis politiques fondés sur (l'identité) différente des Amazighs, mais nous voulons dire au gouvernement de transition et au gouvernement qui suivra que les Amazighs font partie intégrante de la vie politique», a lancé Fathi Abou Zakhar, président du comité préparatoire. «Nous voulons que le tamazight soit un droit inscrit dans la Constitution», a-t-il poursuivi devant des dizaines de participants, conscients du poids politique des Amazighs, les «hommes libres» en langue berbère. Pourtant, parler ou écrire en public, lire ou imprimer en tamazight était proscrit sous Kadhafi. Très actifs depuis le début, en février, de la révolte populaire, devenue conflit armé contre le régime du colonel Kadhafi, les Berbères ont œuvré avec les Arabes à renverser le pouvoir libyen et espèrent désormais peser dans la vie politique et culturelle. Ils s'organisent d'ailleurs pour faire connaître leurs revendications en multipliant les manifestations publiques. Des milliers de personnes ont ainsi participé à un festival de musique berbère lundi à Tripoli, faisant résonner dans la capitale libyenne des airs longtemps interdits et hissant le drapeau berbère jaune, bleu et vert. «Nous sommes venus dire que nous sommes là, avec tous les Libyens. Amazighs et Arabes, nous sommes frères», a affirmé un autre Amazigh, Saïd Khalifa. «Personne ne nous volera cette victoire pour laquelle nos fils ont versé leur sang», a-t-il averti, dans une allusion aux brigades de combattants anti-Kadhafi amazighes, dont de nombreux hommes étaient déployés sur la place pour assurer la sécurité des festivaliers. Mohammed Al-Alagi, ministre intérimaire de la Justice au sein du Conseil national de transition, s'est rendu au festival et, drapé dans un drapeau amazigh, s'est dit «très heureux de ce grand événement». Le mouvement culturel amazigh libyen avait exprimé le 12 août dernier, dans une déclaration, sa conception du futur Etat libyen. Pour le MCAL, «le moment est venu pour construire le nouvel Etat libyen moderne et libre. La conscience intellectuelle qui aspire à la démocratie et au respect de la diversité doit émaner des valeurs humaines universelles comme la reconnaissance et le respect de l'autre, le dialogue et la tolérance afin que nous puissions construire une entente nationale et travailler pour l'intérêt de tous.» La déclaration précise que «la langue amazighe en tant que patrimoine de tous les Libyens sans exception, et la langue arabe sont les deux langues officielles de la Libye. Elles jouissent des mêmes droits et des mêmes privilèges quant à leur utilisation au niveau de toutes les institutions de l'Etat. L'Etat travaillera à la protéger, à la perfectionner et à assurer son utilisation dans tous les domaines. L'Etat veillera aussi à enseigner les langues étrangères les plus utilisées dans le monde afin d'accéder à la science et à la modernité, de s'ouvrir sur les autres cultures et civilisations.» A. G.