Le SILA change d'organisateur. Et d'organisation ? La semaine dernière, nous avons présenté ici la nouvelle structure de distribution du livre inaugurée par Khalida Toumi, ministre de la Culture. Le même jour, elle avait lancé une autre structure consacrée à la gestion du SILA (Salon international du Livre d'Alger). A l'instar de la première, cette nouvelle entité sera également une filiale de l'ENAG (Entreprise nationale des arts graphiques). Ses missions consisteront aussi en l'organisation de quatre salons régionaux du livre (Centre, est, ouest et sud). Une vieille attente des lecteurs de l'intérieur du pays. Tremplins motivants de l'édition nationale, il est peu probable que ces salons régionaux attirent les éditeurs étrangers en raison de la taille des marchés locaux. Cependant, dans une démarche de réseau, ils pourraient établir des complémentarités avec des salons locaux organisés, plus ou moins régulièrement, par des municipalités, des associations, etc. Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser le ministère de la Culture à changer le mode d'organisation du SILA ? Petit rappel. Au début des années 1980, l'Etat avait lancé les Foires du Livre, gigantesques espaces de vente sans animation culturelle. Le livre importé était alors subventionné jusqu'à 80% de son prix réel. Une pratique qui avait encouragé des spéculations (ex : achat d'encyclopédies à petit prix revendues ensuite en devises à l'étranger) mais permis un accès massif à des ouvrages récents et divers. Avec la crise pétrolière au milieu des années quatre-vingts, les foires disparurent. Il fallu attendre 1995, en pleine tourmente nationale, pour que le premier SILA naisse. Il a connu plusieurs organisateurs : globalement le syndicat des éditeurs, puis l'ANEP (Agence nationale d'édition et de publicité) avant de passer, en 2009, au ministère de la Culture dans le cadre des festivals institutionnalisés gérés par des commissariats. Cette formule, qui connaît diverses fortunes selon la situation des disciplines, l'adhésion ou non de l'environnement institutionnel du festival et la qualité et l'expérience des organisateurs, n'a pu résister à la taille et l'importance d'un événement comme le SILA qui, d'année en année, est devenu un géant, se positionnant comme le premier évènement culturel national mais aussi l'un des plus importants au monde, en visiteurs. En 2010, avec la mise en place de portiques de sécurité à compteurs, le SILA avait attiré plus de 1 200 000 visiteurs, avec des pics de 200 000 entrées/jour. Le nombre d'éditeurs participants avait augmenté de 30% par rapport à 2009 avec une diversification des origines géographiques et des spécialités. L'an dernier, une évaluation comparative des fréquentations dans le monde, situait très favorablement le SILA : derrière les Salons de Calcutta (3 millions de visiteurs) et du Caire (2 millions), mais devant ceux de New-Delhi (1 million), Hong-Kong (950 000), Francfort et Turin (300 000 chacun), Paris (180 000) et Cap-Town (49 000). Un score impressionnant qui situerait Alger en tête si l'on introduisait une péréquation démographique. Mais cette performance n'est que celle de la fréquentation car, à elle seule, la Foire de Francfort, par le volume de ses transactions (achats et cessions de droits, accords et partenariats…), et donc son impact sur l'édition mondiale, l'emporte sur tous ses prédécesseurs réunis. Aussi, la question centrale qui se pose est celle du choix entre la tendance «salon professionnel» et la tendance «foire populaire». Jusque-là, le SILA s'est surtout situé dans cette dernière. La création d'une filiale pour son organisation dénote une volonté d'aller vers la deuxième option. Il devenait impossible à un commissariat, fondé sur la bonne volonté de professionnels, mobilisés environ 3 mois avant un événement aussi considérable, d'en assurer la logistique impressionnante, l'organisation et surtout la programmation. La presse s'est plainte plusieurs fois du manque de grandes signatures littéraires. Mais les agendas des grands auteurs sont souvent réservés deux ans à l'avance. Une professionnalisation s'imposait. Mais la professionnalisation de l'organisateur et des modalités d'organisation ne signifie pas que l'on choisira l'option «salon professionnel». Celle-ci dépendra de plusieurs facteurs. L'amélioration réelle de la disponibilité quotidienne du livre en Algérie, la percée de la lecture publique et une stratégie d'évolution du SILA. Faute d'une distribution en quantité et qualité, ce salon semble condamné à rester essentiellement une «foire populaire». La «filiale SILA» est aussi chargée de l'organisation des participations algériennes aux salons internationaux, ce qui devrait lui permettre de suivre les tendances mondiales et de mieux positionner le SILA dans la concurrence des salons et foires du monde. Mais il est indispensable qu'elle associe tous les acteurs du livre à la conception des éditions du Salon, sous forme de conseil consultatif, d'ateliers de réflexion, de séminaires de préparation – qu'importe – pour peu que soit sollicitées, accueillies et étudiées les idées et propositions des professionnels. En s'ouvrant à cette optique de bonne gouvernance, la nouvelle filiale évitera de se transformer en société de services désincarnée. La 20e édition du SILA approche. Ainsi, 2015 constituera un cap délicat dans un monde du livre traversé par de grands changements dont le moindre n'est pas la fin annoncée du livre-papier.