La caméra de l'ENTV balancée du haut des gradins par un jeune étudiant en droit lors de la retransmission du match de football USMH-USMA, n'a laissé personne indifférent devant cet acte ignoble. D'autant plus que le caméraman et le technicien ont échappé de justesse à un lynchage. L'un d'eux a dû, suite au choc, mettre deux heures pour retrouver ses esprits de cette soirée cauchemardesque. Cet épisode a suscité l'envie de «vivre de l'intérieur» les conditions d'une retransmission de match. «Ce n'est pas une sinécure», avertit un responsable de la télévision. Nous devions suivre pas à pas le montage d'un tel travail harassant et éreintant, qui consiste à servir et divertir le téléspectateur algérien. Le sort dicté par le calendrier nous imposa la demi-finale de coupe d'Algérie qui a opposé, ce vendredi, le CRB au CSC. Rendez-vous était pris pour rencontrer toute l'équipe de retransmission au centre de production. Mourad Mezine, chef de mission, interpella tout son monde et le départ par bus est donné à 9h35. Une trentaine de personnes sont à bord, des caméramen, des assistants machinistes, des ingénieurs d'exploitation et maintenance, des chargés du son et du faisceau de transmission, des électriciens, du script, des chauffeurs et du réalisateur. 9h45, le premier contrôle de police juste à l'accès du pont au niveau du Jardin d'Essai, des motards demandent les ordres de mission malgré le fait que le bus porte la pancarte ENTV. Quelques minutes de palabres, le OK est donné. Une centaine de mètres plus loin, devant l'entrée du stade, un deuxième contrôle. Là, on arrête le bus et aucun des policiers ou stadiers ne retire la barrière. Un technicien descend du bus et libère le passage. A ce moment, les choses bizarres commencent. Un stadier qui connaît tout ce personnel demande les cartes professionnelles, les ordres de mission et de surcroît les cartes nationales d'identité et s'exclame : «Vous êtes nombreux ici», comme si c'est à lui que revenait la fonction de désigner une équipe de retransmission. Un technicien lui rend sa monnaie en lui disant : «On vient travailler, on n'est pas des supporters.» Puis, la porte s'ouvre et le bus s'engouffre dans une cour. Les deux cars de retransmission sont déjà là. Il est 10h05, le chef de mission donne le schéma de l'installation du matériel et c'est déjà le branle-bas de combat. Quelque 1500 mètres de câbles sont déroulés. Le nécessaire pour 7 caméras est descendu des camions. Ce qui est désolant, c'est que le stade n'offre aucune facilité pour transporter un tel matériel. La distance entre le camion et le terrain est assez importante et tous les techniciens mettent la main à la pâte, y compris le chef de mission. Il faut déplacer une dizaine de grosses caisses métalliques, autant de cabas et des trépieds de caméras pesant au moins une quarantaine de kilos. Aucun chariot ou instrument de levage n'est disponible. Il faut sauter des murs de 2 mètres pour passer les câbles, entrer dans une école mitoyenne au stade, monter trois étages, puis grimper sur une échelle pour installer une caméra et la parabole de faisceaux sur la terrasse, au-dessus du tableau électronique. Il faut le faire. Mais, la difficulté se trouve aussi dans cette coutume de cadenasser les portes pour, dit-on, des problèmes de sécurité. Cependant, par ricochet, on freine l'élan de travail de ces hommes qui triment pour permettre aux Algériens de se divertir et de s'informer. Cette situation de blocage énerve et stresse en même temps. Des câbles passent à portée des spectateurs et c'est dangereux. Une caméra est placée à l'intérieur même de la cabine du commentateur. Le balayage est limité par des filets suspendus à l'extérieur et par des pilonnes. La vitre est salle et poussiéreuse, malgré le fait que le réalisateur ait demandé la veille au directeur du stade de faire un nettoyage, rien n'a été fait, la saleté crève les yeux, ça sent même la moisissure. Abderrahmane tripote sa caméra baladeuse. Elle ne pèse pas moins de 15 kilos et il doit la porter sur son épaule durant plus de 90 minutes. Le comble, c'est qu'elle renferme un faisceau d'ondes qui, au contact de la joue et de l'oreille du cameraman occasionne souvent à ce dernier des saignements du nez. Un mal que le téléspectateur ignore. A 11h, tout le matériel est en place et on opère à une mise en route aux commandes du chef d'équipe. Mohamed, le script, procède à inscrire les noms et numéros des joueurs sur un listing qui sera utilisé lors de la retransmission. Mourad, lui s'affaire à mettre au point les effets spéciaux avec les logos des clubs. Dans la cabine du son, on règle les voix et micros d'ambiance en coordination avec la station, le cap Matifou et les deux plateaux. Lamine, le chef d'équipement donne une haute définition pour rendre les images plus réelles. A 11h30, tout est au point, on sort prendre le déjeuner. Surprise, tous les lieux de restauration sont fermés. Il faut aller vers Ruisseau pour acheter pain, fromage, biscuits et jus. La salle de restauration est improvisée, c'est le bus et les tables ce sont les strapontins. Le réalisateur Yazid Belkout, qui avait au préalable jeté un coup d'œil sur les préparatifs, vient manger avec son groupe. A ce moment, les membres des services de sécurité reçoivent leur repas froid. Djamel s'exclame : «Ah, Si notre institution pouvait nous faire la même chose !» Chaque élément rejoint son poste de travail, il est 14h45. A partir de ce moment, les cameramen et techniciens ne peuvent même pas aller uriner, même à la mi-temps, puisqu'on ferme les portes. Djamel, qui est déjà diabétique et prend des médicaments nous dira : «A cette allure et à notre âge on n'est pas loin d'avoir des problèmes de prostate.» Le réalisateur est appelé d'urgence par le commentateur qui se trouve sur la ligne de touche, il doit porter une chasuble, dit-on. Il faut dialoguer avec le dirigeant du club du CRB, expliquer au commissaire chargé de la sécurité que le journaliste ne doit pas apparaître sur l'écran avec cet habit. Bref, les choses rentrent dans l'ordre, mais que de temps perdu. En voulant rejoindre son camion, le réalisateur se retrouve enfermé dans le stade, le policier possédant les clés des cadenas refuse de lui ouvrir la porte et lui demande de faire le tour, alors que toutes les issues sont fermées. Le direct doit déjà être opérationnel et Yazid Belkout est encore bloqué sur le terrain. Le stress fait déjà une invasion dans tous les esprits. La première porte est ouverte. A la seconde porte, le réalisateur subit la même pression. C'est trop. Après avoir rejoint sa place dans le camion, le réalisateur lance «Attention !». Il a les yeux braqués sur pas moins de 22 écrans, manipulant plus d'une centaine de boutons et une demi-douzaine de manettes. Il est aidé dans cette manœuvre par Mourad, le chef de mission. A gauche du réalisateur, il y a la cabine du chef d'équipement et le script, à sa droite celle du son et derrière lui ceux qui sont censés localiser les ‘‘replay'' ou répétition des phases de jeu. Dans cette espace où active une douzaine de personnes, le réalisateur doit être un véritable chef d'orchestre. Le comble, c'est que la retransmission doit être assurée pour deux plateaux en même temps, Canal Algérie et la chaîne terrestre. C'est que la tension est multipliée par deux. A ce propos, aussi bien Yazid que Mourad sont unanimes pour dire que ce jonglage est hors normes internationales. Aucun détail ne doit être négligé, c'est dire que les sens auditif et visuel sont en alerte. C'est ce qui rend l'atmosphère plus électrique et les nerfs à fleur de peau. Le téléspectateur ne vit pas cette situation, il ne l'imagine même pas. Parfois, une séquence est ratée et c'est le réalisateur qui hurle, surtout pour les répétitions. Il ne faut surtout pas s'emporter dans des situations pareilles. Il est vrai que dans ce climat de tension, on prie Dieu pour qu'il n'y ait pas de prolongations. A 17h55, c'est la fin du match, on entend des ouf !, partout. Déjà, on s'attelle au démontage. Mais, les nerfs sont remis à vif, puisque le policier qui possède les clés des cadenas est parti en laissant les techniciens enfermés dans le stade comme des lions en cage. Au lieu de débarrasser rapidement et partir, on attend plus d'une demi-heure. Personne ne pense à ces hommes qui ont œuvré dans des conditions difficiles. Le stade est vide. A 18h35, tout le matériel est emballé. A 18h40, le bus démarre. Les esprits reprennent leurs places et les langues se délient. Un membre de l'équipe se lâche : «Combien de fois nous avons été blessés, et ce qui nous fait mal, c'est que nos supérieurs ne cherchent même pas à nous voir.» Un autre fait remarquer que les règles de travail ne sont pas respectées et que de par le monde entier l'équipe qui installe et démonte le matériel ne procède pas à la retransmission. Il dira : «Alors que chez nous, c'est Ali qui joue et c'est Ali qui note les points. D'ailleurs, point de vue rémunération, nous n'avons aucun avantage», soulignera le troisième, qui enchaîne : «Le cameraman opérant dans un studio touche le même salaire et la même prime que celui qui se trouve sur une terrasse face au froid ou à la chaleur. C'est injuste.» Le responsable de l'émission sportive, Yacine Bourouila, lâche : «J'avoue qu'on a affaire à de véritables professionnels, qui sont sur toutes les retransmissions et surtout celles concernant le sport.» Et de conclure : «Ils nous aident énormément, et ce que j'apprécie aussi en eux, c'est cette maîtrise de toutes les situations et leur adaptation à tous les cas de force majeure. Je leur rends hommage. Peut-être qu'ils nous reprochent qu'on ne soit pas très solidaires avec eux, mais au fond on est très proches d'eux.»