Incapable d'assurer son autosuffisance alimentaire en exploitant ses propres moyens de production, l'Algérie est assurément un pays vulnérable. Il l'est encore davantage quand à l'occasion d'un mouvement de contestation d'un groupe d'armateurs internationaux, on apprend que le transport d'environ 90% des marchandises qu'elle importe est assuré par des compagnies maritimes étrangères. On prend alors conscience de l'extrême fragilité du pays qui, non seulement, ne parvient pas à subvenir aux besoins alimentaires de sa population mais, pire encore, à prendre en charge au moyen de ses propres navires le transport des marchandises qu'il importe. Un embargo exercé, pour une raison ou autre, par ces armateurs qui assurent l'approvisionnement du pays et c'est toute l'Algérie qui risque de plonger dans le spectre de la pénurie, avec tout le lot de conséquences qu'il comporte en termes de hausse des prix et d'indisponibilité de produits de base. On se pose alors la question de savoir comment un pays qui dispose de 1200 km de côtes maritimes en est arrivé à ne disposer, en tout et pour tout, que d'une dizaine de navires dont la moitié aurait atteint la limite d'âge. La réponse est évidemment dans le maintien têtu du monopole du transport maritime de marchandises que l'Etat avait confié, en 1971, à la Compagnie nationale de navigation (CNAN). Totalement déstructurée et empêtrée depuis plus d'une vingtaine d'années dans d'inextricables problèmes de gestion et de malversations, ayant conduit bon nombre de ses cadres dirigeants en prison, elle reste malgré la seule entreprise habilitée par l'Etat algérien à posséder des navires marchands. Un décret publié il y a à peine deux années a certes autorisé d'autres opérateurs que la CNAN à acquérir des bateaux destinés au transport de marchandises, mais faute de textes d'application et de conditions favorables à ce genre d'investissement, les promoteurs hésitent, aujourd'hui encore, à s'y engager. La privatisation de la CNAN, sous forme d'ouverture de capital évoquée en 2006 a, on ne sait pour quelle raison, été subitement abandonnée en cours de route une année après, laissant cette entreprise publique dans une totale détresse. Tout en maintenant son droit de propriété exclusif sur la CNAN, l'Etat ne fait, par contre, rien pour la remettre financièrement à flot et lui donner les moyens de renouveler, ne serait-ce, que la moitié de la vingtaine de vieux navires qu'elle avait été contrainte de réformer et de vendre sous forme de ferraille. La compagnie ne dispose aujourd'hui que d'une dizaine de navires opérationnels dont l'âge avancé coûte très cher, aussi bien en prestations d'assurances qu'en frais d'entretien et de réparation. 12 milliards de dollars en 2011 L'absurde maintien de la CNAN en situation de monopole au moment où les transporteurs routiers privés venaient d'être autorisés à détenir des camions de très gros tonnages a, à l'évidence, mis l'Algérie en situation de péril en la contraignant à confier ses approvisionnements stratégiques à des armateurs étrangers qui peuvent du jour au lendemain décréter un embargo pouvant compromettre la sécurité alimentaire, voire même la souveraineté du pays. Le ton est d'ailleurs déjà donné par la décision que viennent de prendre une dizaine de grands armateurs internationaux, parmi lesquels Maersk, CMA-CGM, LSK, HK, Arkas et autres, de faire payer cash et en devises à partir du 15 avril dernier, tous les opérateurs qui les solliciteraient pour transporter des marchandises vers l'Algérie. Cette décision prise en réaction aux blocages bureaucratiques des transferts en devises des recettes accumulées depuis 2010 montre à quel point il est dangereux de confier l'approvisionnement du pays exclusivement à des transporteurs étrangers. Le danger est d'autant plus grand que l'Algérie importe l'essentiel de ses moyens de subsistance, parmi lesquels les produits alimentaires de base et les médicaments. Les armateurs étrangers auraient facturé pour, au moins, de 12 milliards de dollars au titre du transport des 46 milliards de dollars de marchandises importées en 2011. En 2012, la facture promet d'être encore plus lourde, les prévisions d'importation devant, selon les premières estimations, dépasser allégrement 50 milliards de dollars à la fin de cette année. En attendant que le privé algérien consente à investir dans le créneau de l'armement, il est, à notre avis, nécessaire que l'Etat consente rapidement à renforcer le pavillon national représenté par la CNAN. Il doit l'autoriser en lui donnant, évidemment, les moyens à acquérir un lot conséquent de nouveaux navires lui permettant d'assurer à terme au moins la moitié de nos besoins en fret maritime. L'ouverture de son capital ainsi que son management à des opérateurs privés pourraient être envisagés ultérieurement afin de consolider la prise charge managériale et les résultats de cette entreprise, qui a l'inestimable avantage de l'expérience en matière de fret maritime. L'Etat devrait, par ailleurs, inciter la CNAN à créer rapidement une filiale qui sera chargée des activités de production, d'achat et de location de conteneurs dont les prix exorbitants pratiqués par les opérateurs étrangers grèvent lourdement le coût du fret. Plus de deux milliards de dollars pourraient être ainsi économisés chaque année.