Sur les panneaux électoraux, les Algériens dessinent des personnages de dessins animés. Le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune apparaît sous les traits de Bob l'éponge, le Front de libération nationale est affublé d'un mouton jovial et le Mouvement pour la paix de Bouguerra Soltani prend des allures d'un bodybuilder ressemblant à la fois à l'acteur Sylvester Stallone et au rappeur Snoop Dogg. Les auteurs des graffitis ont peut-être voulu rendre à l'expression «bled Mickey», à laquelle on assimile souvent l'Algérie, toute sa signification. Sur d'autres panneaux, près de Bab Ezzouar, des tags rappellent que la pomme de terre se vend désormais à 100 DA et que l'USMA reste le parti préféré des jeunes du quartier. Autre image attestant le peu de crédit que les Algériens attribuent à ces élections, une photo circulant sur facebook met en vedette une poubelle verte, comme il y en a partout à Alger, qui nargue les passant en affichant : «10 mai, votez ici.» Quand on n'a que l'humour… Les blagues et les détournements d'images font florès sur les réseaux sociaux, renforçant l'idée selon laquelle les jeunes sont peu captivés par les programmes des partis en lice pour les législatives. Dans des photos montages publiées sur facebook, il est possible de voir Belkhadem, Ouyahia, Soltani et Djaballah dans une course aux poubelles. Une autre photo met en scène un groupe de musique dans lequel Bouguerra Soltani joue du saxophone, Abdallah Djaballah de l'accordéon et Louisa Hanoune du synthétiseur avec ce commentaire : «Nous en avons marre de la même chanson, nous voulons le changement et maintenant !» Dans le jeu des détournements de slogans, les jeunes rivalisent d'inventivité : «Mouvement pour la société et la paix : ensemble pour l'hypocrisie et la corruption» ou «L'abstention équivaut à mettre les khobzistes au boulot, Belkhadem au placard, son parti FLN au musée, Bouteflika dans le pétrin, le pouvoir aux abois, le peuple dans la joie.» D'autres photos mettent en parallèle un ministre devant un buffet de méchoui et une vieille fouillant dans les poubelles. Qu'est-ce qu'un député ? Face au blocage politique, il ne reste aux abstentionnistes que l'humour pour faire entendre leur voix. Ils font ainsi de la politique avec goguenarderie. L'image du député est généralement assimilée au vol et à l'enrichissement illicite. C'est donc tout naturellement qu'ils conjuguent le verbe voter : «Je vote, tu votes, il vote… ils s'enrichissent.» Certains appellent même à voter Ali Baba afin de se convaincre qu'il n'y aura que 40 voleurs à l'hémicycle. Et à d'autres de crier : «One, two, three, wallah ma n'voti (je ne voterai pas).» Les blagues politiques font aussi leur grand retour à l'occasion de ces élections. Là encore, les élus en sont les cibles privilégiées. «Auparavant, il y avait Chadli ; désormais les blagues ont pour héros les députés qu'on compare souvent aux beggars à cause de leur bedaine, leur moustache et leurs manières», explique Ryad, étudiant. Parmi les blagues en vogue ces derniers jours : «Deux Algériens parlent des prochaines élections : -Mohamed : tu votes pour les corrompus ou les autres ? -Ali : mais qui sont les autres ? » Autre blague visant directement les représentants du peuple : «Un député qui a cumulé les mandats pour bien se placer dans le milieu des affaires : vendre des passeports pour le hadj et gagner des millions en roupillant, choisit, à la fin de son mandat, de placer sur la porte de sa villa l'inscription : «C'est par la grâce de Dieu» (hada min fadhli rabi). Ahmed Rouadjia, maître de conférence à l'université de M'sila, considère que, pour les jeunes, l'internet n'est pas seulement un moyen d'évasion, de quête de l'ailleurs «rêvé» et transfiguré, mais aussi un défouloir, c'est-à-dire le lieu où ils manifestent leur mécontentement, leur colère ou leur indignation contre un ordre social et politique qu'ils jugent injustes. «Sur facebook et les sites internet, on peut lire l'expression d'une défiance envers le système politique algérien, le témoignage d'un refus global de ce système et un appel à son changement, voire à sa disparition», explique-t-il, relevant néanmoins un manque de maturité politique et une attitude négative dans laquelle le dénigrement systématique de celui-ci occupe une place prépondérante. Ne dit-on pas, après tout, que l'humour est l'impolitesse du désespoir ?