Les éditions «La Différence» viennent de publier le dernier livre du prodige Mostaganémois Habib Tengour. Il s'agit d'une compilation de textes rédigés entre 1980 et 2008 et regroupés sous forme d'essais sous le titre générique «Dans le soulèvement Algérie et retours». C'est effectivement de retours qu'il s'agit. En effet, du début à la fin, c'est un regard singulier, tendre, pugnace, admirateur et iconoclaste auquel l'auteur du «Vieux de la montagne» et du «Maître de l'heure» nous invite. Un regard qui ne manque ni de sagesse ni de sagacité. Habib Tengour, sur 172 pages, parle de son pays, de sa ville natale, de sa vie d'errance et d'exil, de ses joies et de ses lectures. Il le fait à travers ses coups de cœur littéraires. Ce sont tour à tour Mohammed Dib, Kateb Yacine, Pélégri, Rimbaud, Sénac, Seféris – le poète de la période des colonels qui firent tant souffrir la Grèce – mais également son coup de foudre pour ses compatriotes Benanteur et Mohammed Khadda, d'irrécusables enfants de Mostaganem que l'auteur dépeint avec une grâce divine. C'est tellement rare pour être souligné, contrairement aux usages, dans son dernier livre, Habib Tengour conjugue la générosité à tous les temps. Il le fait avec simplicité et douceur. Avec respect, oui, beaucoup de respect envers ses semblables, ses compatriotes et pas seulement, mais surtout envers des gens de sa profession. Page après page, méticuleusement, il parle de ses amis, de ses modèles, de ses repères, qui sait ? L'oraison funèbre de Sénac est une pure merveille, car rédigée dans un style dépouillé et foncièrement humain. Dans «Le figuier et l'olivier», Tengour fait parler l'œuvre de son ami d'enfance, le peintre Mohammed Khadda. En réalité, à travers les peintures de son ami, l'auteur donne un aperçu de son talent de narrateur incomparable tout en restituant les multiples ambiances dans lesquelles les peintures se sont métamorphosés sous «la main de Mohammed qui languit le calame». Ce faisant, l'auteur nous emmène à travers le temps et les saisons, à travers les chants et les poèmes, à travers les chroniques et les faits divers, sans jamais se lasser, sans jamais nous lasser. Le mois prochain, Habib Tengour ira à la rencontre des étudiants de français de l'université de Mostaganem, il faut juste espérer que, d'ici là, son auditoire aura pris conscience de la place de ce poète anthropologue, sociologue et écrivain dans la littérature mondiale. À l'aune du 50ème anniversaire de l'indépendance, il serait bon que ce poète timide et conquérant puisse donner un aperçu de son immense talent. Mais aussi et surtout réconcilier cette jeunesse avec ses écrivains, poètes et auteurs. Surtout ceux de langue française, comme Mouloud Feraoun que Tengour réhabilite à travers une relecture de son journal, «texte unique dans la littérature algérienne», à travers lequel «Mouloud Feraoun nous invite à réexaminer la vision mythique de la guerre de libération, à exorciser nos démons en ouvrant grand les yeux sur ce qui n'a rien de diabolique ou d'étranger et qui se terre en nous». Incontournable sujet de dissertation pour un peuple qui n'a que trop souffert de ses silences.