Samy Debah est l'un des membres fondateurs du Collectif contre l'islamophobie en France et son actuel président. Selon lui, la communauté musulmane est la victime collatérale d'extrémismes, quelle que soit leur idéologie. Et depuis les tueries de Toulouse et Montauban, ce Français, quarantenaire et enseignant d'histoire-géo, affirme dans cet entretien que «les gens se lâchent et dévoilent leur racisme». -La France est-elle devenue terre d'islamophobie ? La France entretient depuis longtemps une relation tumultueuse avec ses citoyens musulmans et avec l'islam. Il est cependant vrai que le racisme s'est transformé au fil des années en islamophobie. N'est plus mise en cause l'origine supposée des personnes, mais bel et bien leur religion. Notre Collectif a été créé en 2003. Si la France semble avoir une longue tradition d'islamophobie, le Collectif a été créé à la suite des propos tenus par Claude Imbert, alors directeur du Point, qui avait déclaré être islamophobe, lors d'une intervention télévisée. Face à cette banalisation du discours islamophobe, les membres fondateurs du CCIF ont décidé de réagir et ont donc créé l'association. Nos rapports annuels montrent que l'islamophobie est le seul «racisme» qui est en constante hausse et de façon importante, au moment où tous les autres sont en très forte baisse. Après les campagnes de légitimation du phénomène, l'on tente, à travers les différentes lois votées, de légaliser l'islamophobie. Aujourd'hui, les agressions dont sont victimes les membres de la communauté musulmane et les personnes issues de l'immigration sont diverses. Les actes islamophobes que nous constatons proviennent de toutes les franges de la société française. Il s'agit soit de discrimination liée à un islam «visible», c'est-à-dire lié au port du hijab ou de la barbe, ou alors d'insultes et d'agression touchant en écrasante majorité les femmes. -Les attentats de Toulouse et de Montauban ont-ils eu un impact sur la multiplication des actes d'hostilité à l'égard de la communauté musulmane ? La politique menée ces dernières années et le contexte électoral actuel sont-ils propices à l'exacerbation des intolérances ? Oui, nous avons pu remarquer une augmentation des cas d'islamophobie suite à la tuerie de Toulouse et Montauban, conséquence de la déferlante médiatique qui s'est abattue sur les musulmans, certains médias privilégiant les amalgames et l'appartenance supposée de Merah à l'islam, sans vraiment s'attarder sur les détails douteux de l'affaire. En France, les musulmans servent d'épouvantails pendant les périodes électorales. On agite le spectre de l'islam «radical» afin d'éviter de parler de la crise, du chômage, de la pauvreté. En ce sens, le contexte électoral est fondamentalement un moment qui voit l'islamophobie exacerbée. Mais c'est surtout le résultat d'années de politique d'exclusion, qui a tenté de dresser les musulmans de France comme des citoyens de seconde zone. A force de déclarer que l'islam est l'unique problème de la France, il est inévitable que ce discours ressorte d'une manière ou d'une autre dans le comportement des Français au quotidien. D'ailleurs, la montée du Front national et des autres mouvances de l'extrême droite inquiète bien évidemment, quand on voit que le programme de Marine Le Pen s'appuie fortement sur des propositions islamophobes. Néanmoins, il faut tout de même préciser que les lois les plus islamophobes ont été votées et proposées par les partis traditionnels. L'islamophobie de ces partis, plus insidieuse et moins visible, est tout aussi dangereuse que l'islamophobie explicite d'une candidate comme Marine Le Pen. -Les salafistes et autres extrémistes sont, semble-t-il, de plus en plus actifs en France. Le sont-ils vraiment ou sont-ils uniquement davantage médiatisés? Le salafisme est un mouvement hétéroclite. Or, le terme «salafiste» est utilisé en France un peu n'importe comment. Il est parfois utilisé afin de susciter des amalgames entre le salafisme et le terrorisme. Il se peut qu'il y ait eu des personnes se réclamant du salafisme et ayant commis de tels actes, mais elles restent plus que marginales. Cependant la charge émotionnelle est puissante dans la société française, dans la mesure où elle renvoie à des images très fortes. En réalité, les salafistes en France sont peu et dans leur grande majorité orientés vers les œuvres de mission ou de charité. Ils sont agités comme un chiffon rouge pour faire diversion sur la réalité du traitement de l'islam et des musulmans en France. Les dernières descentes dans les milieux islamistes et salafistes sont la preuve que cette «lutte contre le terrorisme» n'est qu'un moyen de gagner des voix. Toutes les personnes mises en garde à vue ont été relâchées. Les vidéos «d'entraînement militaire» n'étaient que des films de parties de paint-ball !