Quasiment en direct, nous avions assisté au sac du Musée de Baghdad et Interpol court toujours après des milliers de ses pièces archéologiques, héritages précieux de la civilisation mésopotamienne. Nous avions vu exploser les statues de bouddhas géants de Bamiyan, action des Talibans, auteurs, en outre et entre autres, d'un immense autodafé de 55 000 manuscrits rares de la Fondation afghane, dont la plupart relevaient de la civilisation musulmane. Nous avions suivi la tentative de pillage du Musée du Caire, vitrine prestigieuse de la civilisation pharaonique, contrecarrée in extremis par des manifestants et des soldats égyptiens. Et si les sites helléniques de Libye, telle Cyrène, ont été globalement préservés, le fameux Trésor de Benghazi aurait complètement disparu. Environ 8000 pièces d'anciennes monnaies en or, argent et bronze et quelques œuvres uniques au monde ! Récemment encore, l'Unesco a lancé un appel à la préservation de Tombouctou, classée au patrimoine mondial de l'humanité, ville dont l'université islamique, au XVe siècle, aurait compté 25 000 étudiants. Et voilà que parviennent d'autres nouvelles inquiétantes de Syrie, comme s'il en manquait. Pillages, fouilles sauvages et destructions touchent des pans entiers du patrimoine de ce pays qui compte plusieurs sites classés mondialement : la vieille ville de Damas, l'une des plus anciennes au monde, les cités de Bosra et d'Alep, l'antique Palmyre, le Krak des Chevaliers, la Citadelle de Salah El-Din El Ayyoubi… Cette formidable panoplie, où se mêlent vieilles cultures d'Orient, monuments gréco-romains, Islam et Croisades, se trouve aujourd'hui menacée. Sur le site d'Apamée, une statue romaine en marbre a été dérobée, la Citadelle de Shaïzar a été dégradée, etc. Gouvernement et opposants se renvoient la balle, s'accusant mutuellement de ces atteintes, agressions ou vols. On aura beau chercher ailleurs que dans le monde musulman, des exemples similaires, on n'en trouvera pas. D'abord, parce que c'est dans ce monde-là, le nôtre, que se concentrent la plupart des conflits actuels et que s'offrent donc des occasions de pillage. Ensuite, parce qu'à l'évidence, viennent se combiner des forces extérieures et intérieures à ce monde. Au-dehors : des collectionneurs véreux, véritables receleurs du passé, qui attisent la demande et enrichissent les thèses de ceux qui prétendent que l'Islam est une religion sans civilisation. Au-dedans : des margoulins de toutes sortes, attirés par le gain et prêts à vendre leur mère, comme on dit familièrement, ainsi que des fanatiques disposés à détruire les legs de l'histoire, y compris certains issus de la culture islamique. Si, comme en Syrie, un gouvernement et une opposition se battent «pour leur pays», comment comprendre qu'ils ne puissent pas s'accorder au moins pour que personne n'agisse «contre leur pays» ? Le pouvoir serait-il le seul trésor qui ait de la valeur de nos jours ?