Jeudi. 7h40. Chaîne III de la radio d'Etat. Un animateur fait dans la poésie : «Les Algériens vont voter aujourd'hui sous un ciel bleu.» Le ciel d'Alger est effectivement, par la volonté d'une météo printanière, qui ignore les urnes transparentes du scrutin algérien, serein… N'a-t-on pas expliqué par le passé l'abstention légendaire aux législatives par le soleil et le désir de pêcher des petits rougets ? L'air est chaud presque rassurant. Aux alentours du lycée Zeineb Oum El Massakine (Ex-Sainte-Elisabeth) de Télemly, les policiers en civil sont plus nombreux que ceux en tenue bleue (couleur de la journée ?). La raison est liée à la présence du chef de la mission européenne d'observation des élections, l'Espagnol José Ignacio Salafranca. Avant son arrivée, Soraya Louz Si Bachir, une candidate FFS, proteste contre l'absence de son nom sur la liste électorale. «Il y a aussi d'autres cas comme le mien. Ils leur ont dit ‘'rentrez chez vous''. Ce n'est pas normal. J'ai deux cartes de vote. Ils disent n'avoir pas trouvé mon nom alors que j'ai toujours voté dans ce centre. Ils m'ont dit ‘'Allah ghaleb''. Pas d'explication et je n'accuse personne», nous déclare-t-elle. La cour du lycée est envahie par les journalistes algériens et étrangers. Tous en attente d'une déclaration qui fera sortir l'opération électorale de la platitude. Peu de choses dites. «Les équipes de l'Union européenne ont été déployées partout sur le terrain. D'après ce que nous avons observé, les procédures se déroulent normalement. Les gens vont aller voter pacifiquement…», déclare José Ignacio Salafranca dans une incroyable bousculade «médiatique». Il promet une autre conférence de presse pour demain. Allons donc voir comment les Algériens votent d'une manière «pacifique». Ecole Youcef Ibn Tachfine à Hydra. Ecole propre et qui sent presque la lavande. Bureaux vides. «Il n'y a que les gens âgés qui sont venus voter», nous dit une dame, chef de bureau. Assis, deux jeunes suivent la discussion le regard mi-amusé, mi-interrogateur. Ce sont les observateurs des partis FLN, FNA et Algérie verte. Les jeunes représentants les partis de Abdelaziz Belkhadem et de Moussa Touati disent ne pas être des militants de ces deux partis. «Ils m'ont proposé d'adhérer, j'ai refusé. Je suis venu ici parce qu'ils me payent. C'est tout ! Tu me vois militer avec le FLN !», lance un jeune qui habite la cité populaire Sellier. «El hadra bel ticket !», reprend son ami du quartier Bois des Pins, manière de dire que seul l'argent compte. «Je n'ai pas voté. Si on m'offre 30 millions de centimes par mois comme les députés, je vote. Là, je ne vois pas l'utilité», ajoute-t-il. Le jeune de la cité Sellier revient à la charge : «Dites-leur de s'occuper de notre quartier, du marché abandonné, du stade, de ce que nous endurons chaque jour.» Amine, 21 ans, étudiant en technologie, n'a pas voté, lui aussi. «A quoi bon ? Dans le futur peut-être ! Je suis encore jeune. Mais, j'ai bien envie de faire de la politique, plus tard», dit-il. Cap sur Bir Mourad Raïs. Trois adolescents discutent en bas d'un immeuble. «Le vote c'est pas pour nous, c'est pour les autres», lance l'un d'eux. 13h. Mme Youcefi de l'école Kawakibi nous accueille avec un sourire large. «Tout est calme. Le taux de participation est modeste. Sur 6031, 737 ont voté à 12h30», dit-elle. Selon elle, des votants ont protesté contre l'obligation de mettre le doigt dans la bouteille d'encre bleue pour prouver l'acte électoral. «Ils nous ont dit pourquoi n'avoir pas prévu des serviettes ?», précise-t-elle. Nacereddine, étudiant en droit des affaires, observateur d'un parti, veut lui aussi «faire» de la politique. «Mais, à ma manière», dit-il promettant de s'appuyer sur les règles du «marketing politique». Dehors, trois jeunes ont collé l'affiche du parti du Front national de la justice sociale (FNJS) de Khaled Bounedjma sur leurs scooters. Ils circulent librement. Tout est bon pour faire la pub de rue, puisque «la régularité» du scrutin est assurée ailleurs. N'est-ce pas ? Autre paysage, autre ambiance : Les Eucalyptus, quartier populaire à l'est d'Alger. Un festival d'anarchie urbaine ! Rien n'indique que des élections, qualifiées d'«historiques» pour les tenants du pouvoir, se tiennent. Journée ordinaire pour un quartier livré depuis des lustres à son triste sort, à sa misère et à ses tourments. Dans un centre de vote d'une cité qui n'a pas de nom. Elle est désignée par un chiffre : 631. A 15h, et dans un bureau de vote de femmes, le taux de participation s'approche à peine de 20%. Dehors, des jeunes interpellent les journalistes. Ils n'ont pas voté. Et, ils l'assument. Ils expriment toute leur colère contre «un système» qui les broie (voir vidéo sur www.elwatan.com). Direction El Harrach. Ecole Emir Abdelkader. En rouge, le FLN et son numéro 5 apparaissent sur les murs. La commission locale de surveillance des élections n'a – bien entendu – rien vu. Sur 537 inscrits dans ce centre de vote, 101 ont glissé le bulletin dans l'urne. «C'est plus faible qu'en 2007», lance un contrôleur. «Le matin, les vieux sont venus. On s'attend à ce que le soir, les jeunes viennent donner leurs voix», ajoute-t-il confiant. Dans un bureau, 3 jeunes sur 37 sont venus «accomplir leur devoir national», pour reprendre la nouvelle formule officielle largement propagée par les médias étatiques. Un représentant de l'ANR nous dit : «Khatini ou khatihoum», à propos du vote. Il observe comme il peut le déroulement de l'opération électorale. Dans un autre bureau, une classe où sont collés des dessins d'enfants, un jeune, écouteurs aux oreilles, suit sur un Iphone un film d'action pour échapper à l'ennui. Dehors, et sous le soleil de mai, la comédie de la vie passe d'un épisode à un autre…