Pourquoi ces bouleversements dans le monde, aujourd'hui ? Pourquoi la crise économique et financière qui continue depuis 2008 à battre les «cartes du monde» ? Pourquoi ces révolutions arabes, aujourd'hui, qui ont déboulé sans crier gare, alors qu'elles n'étaient pas «attendues» ? S'agit-il d'une grande machination occidentale que les gouvernants autoritaires arabes n'ont pas vue et qui s'inscrit dans la stratégie occidentale pour une emprise totale sur la région la plus «convoitée» du monde ? Comprendre, précisément, ce qui se passe aujourd'hui, nous pousse à baser notre réflexion sur la «finance» qui nous montrera les lignes de force futures dans le monde. L'impasse dans la «création monétaire» tous azimuts par l'Occident La crise des «subprimes», en 2007, qui s'est transformée en crise financière en 2008, a amené les pouvoirs publics aux Etats-Unis et en Europe à injecter des milliers de milliards de dollars pour sauver les banques, alors que ces mêmes banques ont été à l'origine de la crise. Si les pays occidentaux ont, certes, sauvé leur économie, ce qui est vital, le sauvetage s'est effectué néanmoins sur fond d'endettement public. Aussi, la dette publique totale américaine est passée de 6000 milliards de dollars US en 2002, soit 40% du PIB, à 15 000 milliards de dollars US en 2011, soit 100% du PIB (source : Treasury direct «The debt to the Penny and Who Holds, 9 september 2011, http:/www.treasurydirect.gov/NP). Un montant de 9000 milliards de dollars US a été émis par le système bancaire américain entre 2002 et 2011. Impensable, en une seule décennie. L'Europe a injecté 2600 milliards d'euros depuis 2008, faisant passer la dette publique de la zone euro de 5900 milliards d'euros en 2006, à 8500 milliards d'euros en 2011. Ces financements par les Etats-Unis et l'Europe n'étaient possibles que parce que le dollar et l'euro sont les monnaies dominantes du système financier et monétaire international. En composition dans les réserves de change, dans les Banques centrales du monde, ils représentent respectivement 62% et 27,5%, soit près de 90% de la masse de liquidités internationales dans le monde. La livre sterling représente environ 4,2%, le yen environ 3% et le franc suisse 0,1%. Enfin, les autres monnaies convertibles dans le monde représentent environ 3%. Ainsi se comprend la facilité avec laquelle les Etats-Unis et l'Europe, grâce au «droit de seigneuriage» qu'ils ont sur le monde, financent leur déficit et réalisent des montages financiers, tel le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour venir en aide aux pays européens en difficultés (Grèce, Espagne, Portugal, Italie, France…). Cependant, il y a un paradoxe dans cette «création monétaire tous azimuts» pour financer les déficits budgétaires qui sont, forcément, commerciaux avec les pays du reste du monde. C'est qu'une grande partie de ces financements va vers les pays émergents et les pays pétroliers. L'Occident en est conscient, mais malheureusement se retrouve «otage» de cette conjoncture inédite qu'il a créée lui-même et qui s'est transformée en ce qu'on peut appeler les «contingents» de l'histoire. Pour ne citer que quelques pays, qui, par exemple, disposent de grandes réserves de change (données de mars/avril 2011), la Chine est le premier détenteur du monde avec 3045 milliards de dollars US. La Russie est classée troisième avec 525 milliards de dollars US, l'Arabie Saoudite quatrième avec 466 M$. Singapour onzième avec 243 M$, l'Allemagne douzième avec 221 M$. L'Algérie, un pays en voie de développement, treizième avec 186 M$, surplombe la France avec 182 M$, l'Italie avec 164 M$, les Etats-Unis avec 143 M$ et le Royaume-Uni avec 119 M$. Excepté l'Arabie Saoudite, elle surplombe tous les pays arabes et non arabes du cartel pétrolier. Dès lors, on comprend pourquoi les pays émergents sont les grands gagnants de la crise financière qui frappe l'Occident, et pourquoi les pays asiatiques ont salué le dernier plan européen (FESF) en octobre 2011. Mais l'Occident ne peut vivre indéfiniment à crédit, c'est-à-dire à créer de l'argent parce qu'il dispose seul de la «monnaie internationale» pour financer ses déficits extérieurs, et surtout «son endettement», qui ne donne aucune garantie aux pays du reste du monde, si ce n'est la confiance que ces pays lui concèdent. Les pays du reste du monde continueront à «accepter de la monnaie occidentale» tant qu'elle consolidera leur économie. Passée cette consolidation, ils vont chercher à «créer leur propre monnaie pour obliger les pays occidentaux à échanger des richesses contre des richesses», où les monnaies ne seraient que des étalons de richesse approuvés par tous les marchés internationaux, c'est-à-dire par tous les pays. Le yuan chinois commence déjà à «s'internationaliser», d'autres pays suivront, comme l'Inde, voire la Russie et le Brésil, qui ont déjà des monnaies convertibles (rouble et real) et dont les nouvelles monnaies s'étendront aux pays de leur sphère d'influence, constituant plus tard de véritables zones monétaires, à l'instar de ce qui a prévalu dans les années 1930, à la veille du deuxième conflit mondial. L'équation de l'Iran : quel poids sur le nucléaire et sur le dollar ? Les phénomènes qui suivent la crise financière mondiale sont en train de développer des forces inconnues jusqu'alors, qui, demain, frapperont nombre de pays, y compris ceux qui se croient à l'abri. La crise n'en est qu'à ses débuts, il n'y aura vraisemblablement pas de reprise ni en V, ni en W, ni en U, tant que les problèmes monétaires ne seront pas résolus. Bien plus, il y a un risque ouvert possible à tous, y compris un risque réel de «déflation mondiale». Ce qui serait la plus grave crise après celle des années 1930. Trois années nous séparent de 2015. D'ici là, qu'en sera-t-il du monde ? On parle déjà de péril en 2012 pour l'économie mondiale. Aussi, les Etats-Unis sont conscients que si des monnaies émergentes s'internationalisent, surtout le yuan, ce sera non seulement la fin du dollar comme monnaie dominante dans le système monétaire international, mais aussi de l'euro. La Chine aussi cherche à commercer le pétrole et les matières premières dans le monde en yuans, donc à les facturer en yuans, ou par le troc (échange de biens et services chinois contre matières premières), ce qui se fait déjà, d'autant plus qu'une brèche à été ouverte dans l'«île mondiale», c'est-à-dire l'Iran et la Syrie, qui sont entièrement alignées aux deux grandes puissances, la Chine et la Russie. Les Etats-Unis sont conscients que la guerre menée en Irak est un échec, que les objectifs de la mainmise totale sur les grands gisements du Moyen-Orient ne sont pas atteints. Par conséquent, un nouveau plan mondial est mis en œuvre, depuis la remise en question par l'opposition de la réélection du président sortant iranien, en 2009. Les Américains ont compris qu'une guerre contre l'Iran ne déboucherait sur rien, même avec l'emploi d'armes nucléaires, qui ne rendraient que plus solidaire le peuple iranien et surtout «victime». Les Américains ne pourront pas faire ce qu'ils ont fait à Hiroshima et Nagasaki. Le monde musulman a cela de particulier par rapport aux autres peuples, il a l'Islam dans le sang et il sait qu'ils ont Dieu pour eux, surtout s'ils sont agressés. Et les Américains le savent. Cependant, le Dieu musulman ne leur dit pas de se complaire dans leur sort, mais de bouger pour prendre leur destin en main, ce que les musulmans ne font pas. C'est pourquoi les Américains ont joué sur la fibre démocratique pour les peuples arabes en poussant les dictatures dehors (printemps arabe), ce qui n'était pas difficile, puisque l'Egypte comme la Tunisie vivaient aussi de subsides occiden taux ou de marchés touristiques. Ainsi se comprend la neutralité des forces armées face aux revendications populaires. Ce qui a été une bonne chose pour les peuples, mais que l'on peut inscrire néanmoins comme «contingent» dans la stratégie américaine, puisque cette démocratisation n'a été voulue que pour servir des objectifs à la fois stratégiques et économiques. D'ailleurs, des révolutions vite remplacées par des islamistes suite à leur victoire aux élections. En Tunisie, en Libye, en Egypte, au Maroc, etc. Cela étant, les objectifs ne sont pas atteints. La Syrie reste dans la ligne de mire. Mais pourquoi la France, comme d'ailleurs les pétromonarchies arabes, au début du printemps arabe, voyaient dans les mouvements populaires un danger pour l'ordre occidental et monarchique ? Les pétromonarchies ont craint même pour leur régime. Puis, après les destitutions en janvier et février 2011 des présidents tunisien et égyptien, et suite aux mesures prises par les régimes monarchiques sur le plan social et sécuritaire, ils ont tous pris fait et cause pour les peuples libyen et syrien. Il est évident qu'abattre les régimes libyen et syrien «isolerait» l'Iran, car le vrai danger pour les pétromonarchies, ce n'est pas tant l'enrichissement du nucléaire iranien, d'autant plus que l'Iran sait que s'il procédait à un essai nucléaire, il donnerait un prétexte tant attendu et il offrirait sur un plateau d'or l'«argument» aux Etats-Unis pour en finir avec l'Iran. Quitte à non seulement détruire les sites d'enrichissement nucléaire, mais à raser même des villes iraniennes au «prétexte sacro-saint de sauver l'humanité». Ni la Chine ni la Russie ne pourraient les en empêcher. Ce sera alors l'occupation et le changement du régime iranien. Par conséquent, l'Iran ne pèse rien sur le plan nucléaire. Le vrai danger c'est le dollar, en tant que monnaie de facturation du pétrole, qui aura un «effet lourd» sur les cours du pétrole. Un monde à venir «difficile» pour les pays musulmans Ainsi, on comprend pourquoi les Etats-Unis, l'Europe, Israël et les pétromonarchies ont tous intérêt à mettre fin à ces «enclaves de rébellion» constituées par l'Iran, la Syrie et le Liban qui continuent à résister à l'ordre occidental. En cas d'internationalisation du yuan et autres monnaies émergentes, le processus des déficits américains qui tendaient à déprécier la monnaie américaine et la hausse des prix du pétrole avec un effet déflationniste majeur (plus de demande de dollars par les pays consommateurs par la hausse des prix) sur les émissions monétaires américaines, ne pourrait plus jouer. Conséquence : les Américains se verraient obligés de lever des impôts ou de réduire les dépenses publiques, ou les deux. Même situation pour l'Europe. Israël ne pourrait plus compter sur l'aide américaine. Pour les pétromonarchies arabes, elles feront face à la «vérité des prix du pétrole», ce qui veut dire qu'elles aussi devront lever des impôts pour financer les dépenses publiques non couvertes par le pétrole. Et là, ni les régimes islamiques ni tout autre régime politique arabe ne sauveront la mise aux populations, s'ils ne créent pas de l'emploi, s'ils n'investissent pas sur des créneaux porteurs pour la «paix sociale», s'ils ne s'ouvrent pas à la modernité. Sinon, ils risquent tout simplement des crises sans fin. Donc, être compétitifs dans un monde «devenu plus difficile pour l'ensemble des pays» sera le leitmotiv, tel est le futur du monde musulman, y compris l'Iran. Aucun système politique ne peut perdurer indéfiniment, tout est dans l'évolution des peuples et des générations. Guerre ou non contre l'Iran, la crise mondiale, en 2008, est comparable au «contingent» que fut la crise de 1929, et ce qui a prévalu après le deuxième conflit mondial, l'Afrique et l'Asie «se sont libérées» de la tutelle coloniale. N. B. Cet article est extrait d'une étude qui a pour thème, «Orient, Occident et monde islamique. Histoire et perspective », du même auteur, 2012. (A paraître).