Après avoir élaboré et propagé «le discours de la peur» pour neutraliser toutes les aspirations au changement politique dans le pays, durant la campagne électorale pour les législatives, Ahmed Ouyahia, Premier ministre, garde le silence. Il ne dit pas si le RND, qu'il dirige depuis bientôt treize ans, est «heureux» des résultats officiels du scrutin du 10 mai 2012. Seddik Chiheb, responsable du parti de Ouyahia, interrogé hier par El Khabar, a déclaré que le score du RND est… «plus honorable que des victoires préfabriquées». Cela ajoute de l'eau au moulin des partis qui évoquent l'existence d'une fraude électorale en faveur du FLN lors du dernier scrutin. Toujours est-il que les résultats des législatives font du RND – parti né pour rester dans le cercle immédiat du pouvoir –la deuxième force politique du pays. Ahmed Ouyahia sera-t-il sollicité pour la troisième fois par le président Abdelaziz Bouteflika pour diriger le prochain gouvernement ? Rien n'est sûr. D'abord, les deux hommes ne s'entendent pas. Et cela se voit presque à l'œil nu. Bouteflika et Ouyahia ne paraissent ensemble qu'en Conseil des ministres. Le locataire d'El Mouradia, qui a déjà consommé au moins cinq chefs de gouvernement, aime bien le mouvement de va-et-vient dans le choix des hommes. Bouteflika a déjà nommé, démis puis renommé Ouyahia à la tête de l'Exécutif. Il peut le faire encore une fois, même si le RND n'a plus «la majorité» à l'APN. L'amendement précipité de la Constitution en 2008 a créé des «traumatismes» institutionnels qui font qu'aujourd'hui, la majorité parlementaire ne gouverne pas. Le Premier ministre est réduit à «exécuter» les ordres de la présidence de la République. Tout se fait à El Mouradia ou à Zéralda. Situation archaïque qui fait que le Premier ministre peut attendre des semaines la signature d'un courrier ! Ahmed Ouyahia, contrairement à Ahmed Benbitour, s'est parfaitement adapté à ce rôle de faire-valoir. Pourquoi alors changer un homme discipliné qui fait tout ce qu'on lui demande, qui ne polémique pas, qui ne dit pas non, qui ne résiste pas ?! Cependant, l'approche de la présidentielle, prévue en 2014, peut changer la donne. Ahmed Ouyahia, 60 ans, n'a pas développé l'image du «parfait» commis de l'Etat pour rester dans les vestiaires. Il veut désormais entrer sur le terrain en avant-centre. Autrement dit, se présenter comme candidat à l'élection présidentielle au nom du RND ou de ceux qui ont fabriqué le RND. C'est, pour lui, le moment ou jamais. Aussi est-il possible qu'il refuse l'offre de reprendre la direction du gouvernement pour se refaire une peau loin des lumières et bien se chauffer. Diriger le gouvernement durant deux années électorales est porteur de périls. Cela ne lui donnera pas le temps de prétendre à la course à la magistrature suprême. De plus, l'exposition directe aux revendications sociales graduelles de la population sera permanente. Comment alors recoller les morceaux pour «convaincre» les électeurs en cas de candidature à la présidence ? Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, pourrait lui aussi être dans la même situation. S'il a l'ambition de succéder à Bouteflika au palais d'El Mouradia, il aura au moins besoin de «changer» de look, soigner les apparences et se fabriquer l'image d'un homme rassembleur après avoir provoqué les divisions à l'intérieur du FLN. Bouteflika prendra-t-il le risque de mettre un homme ouvertement contesté à l'intérieur de son parti à la tête du gouvernement ? Même si l'actuel chef de l'Etat est adepte des pochettes-surprise, il est peu probable qu'il fasse appel à Belkhadem. Le FLN, par la voix de Abderrahmane Belayat, a revendiqué le Premier ministère. Ceci paraît logique après les 220 sièges décrochés à l'APN, selon les chiffres annoncés par Daho Ould Kablia, ministre de l'Intérieur. Nommer un Premier ministre de la majorité FLN-RND serait revenir à une sorte de normalité. Cela dit, Bouteflika pourrait être amené à solliciter un technocrate pour éviter que le FLN et le RND apparaissent comme hégémoniques sur une scène nationale où les contestations des résultats du scrutin du 10 mai 2012 n'ont pas cessé, créant même un lourd climat de manque de confiance. Confiance qui sera l'un des facteurs déterminants dans le choix du prochain chef du gouvernement, lequel aura la lourde mission de mener à bout le projet de révision de la Constitution, en 2013. Il aura aussi la tâche de préparer les élections locales de novembre 2012. Tâche compliquée, là aussi, en raison des doutes qui pèsent désormais sur la conduite «partisane» de l'administration lors des élections législatives. Il s'agit de remonter une pente glissante. Surtout que Bouteflika, qui a suggéré, le 8 mai à Sétif, qu'il était partant selon la logique de la double transition, voudra réussir son processus de «réformes» politiques. Les partenaires étrangers, tels que les Etats-Unis ou l'Union européenne, ont tous insisté sur la nécessité de mener des «réformes démocratiques» en Algérie. Echouer dans ce projet serait une véritable catastrophe pour un Président qui voudrait terminer sa carrière politique avec du «concret». Se tromper dans le choix de l'homme qui aura à appliquer ses directives sera une erreur fatale.