Le chef du gouvernement n'a pas tu ses ambitions politiques Ouyahia en embuscade Selon ses proches collaborateurs, Ahmed Ouyahia ne se portera candidat à la présidentielle que si Abdelaziz Bouteflika renonce à un second mandat. Le RND rendra publique sa position par rapport à l'élection présidentielle du printemps prochain à la faveur d'un conseil national, qui aura probablement lieu, selon des membres du bureau politique, le dernier week-end de ce mois de décembre. Le secrétaire général, Ahmed Ouyahia, réunira le bureau politique, jeudi prochain, pour débattre des prochaines sénatoriales et fixer la date de la tenue du conseil national. Pour préserver assurément l'effet d'annonce, nos interlocuteurs n'ont pas voulu donner trop de précisions sur la stratégie du parti. Ils ont concédé, néanmoins, à nous placer dans une optique de recoupement de faits et d'objectifs qui permet d'entrevoir presque clairement la position du Rassemblement national. “Le RND prendra sa décision en fonction de ses propres intérêts et surtout de l'intérêt de la nation”, a affirmé un proche collaborateur du secrétaire général. Il a ajouté : “Nous pensons que le RND est bien placé pour présenter son propre candidat à la présidentielle si les conditions politiques sont favorables. Mais si elles ne le sont pas, il restera fidèle à ses options patriotiques, c'est-à-dire la stabilité nationale, la promotion de la démocratie…” Dès lors, l'on comprend que la conjoncture ne favorise pas vraiment la candidature d'Ahmed Ouyahia à la présidentielle de 2004. En acceptant d'assumer les charges de Chef du gouvernement en remplacement de Ali Benflis, limogé en mai dernier, Ahmed Ouyahia a réduit considérablement ses chances de réussir son entrée en lice pour la bataille électorale, à moins de faire un remake de la crise du FLN, à quelques encablures de la date du scrutin. “Par respect à la morale politique, Ouyahia ne peut s'engager dans cette voie”, a confirmé notre interlocuteur. “Nous ne pouvons plus nous organiser en fonction d'un événement et nous réveiller le lendemain sur un champ de ruines”, nous dira un autre homme fort de la direction du Rassemblement. À partir de là, il devient presque évident que Ahmed Ouyahia ne se portera candidat à l'élection présidentielle de 2004 que si le président Bouteflika décide de renoncer à briguer un second mandat. Ce qui apparaît aux antipodes des ambitions de l'actuel locataire du palais d'El-Mouradia. Lors d'une cérémonie, donnée samedi en fin d'après-midi, au siège national du parti par le secrétaire général Ahmed Ouyahia en l'honneur des cadres, les discussions allaient bon train sur la future présidentielle. L'option de soutien du parti au Président-candidat, Abdelaziz Bouteflika en l'occurrence, ne suscitait presque plus de doute. Pourquoi continuer à entretenir alors le suspense en direction de l'opinion publique. “Il est incongru de se mettre dans la perspective de la présidentielle de 2004 aux côtés de Bouteflika avant qu'il n'annonce officiellement sa candidature”, nous dit-on. L'Union nationale des femmes algériennes (UNFA) et l'Organisation nationale des enfants des moudjahidine (ONEM) ne se sont pas embarrassées du respect de ce principe. Elles ont déjà plébiscité la candidature du chef de l'Etat. Détail important : ces deux organisations sont présidées respectivement par Nouria Hafsi et Khalfa M'barek, tous les deux membres du bureau politique du RND. “Ces organisations ont pris cette position car elles subissaient des pressions de la base. Elles n'ont pas agi sur instruction de la direction du parti”, a souligné l'un de leurs collègues. Il n'en demeure pas moins que de plus en plus de voix de militants s'élèvent pour amener la direction du parti à aider Abdelaziz Bouteflika à obtenir un second mandat. Un nombre appréciable de membres du conseil national sont favorables à cette démarche. Certains d'entre eux sont tellement sûrs de l'issue de leur prochaine réunion qu'ils se sont lancés dans des conjectures sur l'éventualité que Ahmed Ouyahia dirige la campagne électorale de Bouteflika. “Il démissionnera certainement du gouvernement un mois avant l'élection présidentielle pour satisfaire d'une part, l'exigence des partis politiques qui demandent son départ et de l'autre, s'occuper pleinement de la campagne électorale du président de la République”, nous a rapporté un ex-député, membre du conseil national. Cette information paraît, néanmoins, invraisemblable pour le moment. De nombreux cadres du parti reconnaissent que l'heure de grande gloire de Ahmed Ouyahia n'a pas encore sonné. “Il est né en 1952. Il est encore très jeune. Il peut prendre du temps pour bien se préparer à assurer le changement dans la stabilité politique et institutionnelle”, a soutenu un sénateur RND. Souhila H. La carte maîtresse de Bouteflika Dans la conjoncture actuelle, le destin du RND est entre les mains du président Bouteflika, la carte maîtresse à jouer pour gagner un second mandat. Il sera peut-être l'unique parti politique à lui accorder à nouveau sa caution. Et c'est justement grâce à cet atout, que le RND a réussi la prouesse de se replacer comme une force tranquille sur l'échiquier politique alors qu'on le donnait pour mort et enterré, après sa débâcle aux dernières élections législatives et locales. Le vent a tourné assurément en faveur du RND, qui a reconquis, depuis quelques mois, l'espace politique presque sans faire d'effort. Ahmed Ouyahia, devenu Chef du gouvernement, a mis progressivement son parti au service du président de la République, en alternative au FLN, traversé par une crise interne sans précédent à cause de ses ambitions indépendantistes de toute chapelle. Au jour d'aujourd'hui, le FLN est si affaibli par les coups que lui assène le mouvement de redressement et aussi par quelques-unes de ses ripostes maladroites qu'il devient difficile de croire que Ali Benflis gagnera la bataille électorale face à son principal adversaire Abdelaziz Bouteflika. Dès lors, il ne sied plus de penser que Ouyahia cherchera à créer une autre crise politique en se mesurant au chef de l'état, au moment où ses collaborateurs n'ont de cesse de répéter qu'il œuvrera pour “incarner le changement dans la stabilité du pays”. Dans cette optique, il voudra encore moins compromettre la remontée de son parti, ne serait-ce qu'au plan politique. L'ancrage réel du Rassemblement dans la population reste, toutefois, à définir, bien que ses responsables fournissent des statistiques plutôt positives. Selon ces sources, le parti comptait, avant les élections législatives du 30 mai 2002, quelque 200 000 adhérents, parmi lesquels 4 800 cadres supérieurs. Aux dernières élections locales, le Rassemblement a obtenu 2 800 sièges. Un inventaire, établi à la veille de l'Aïd, fait état d'un ralliement au RND d'environ 700 membres des APC et APW, élus sur les listes des autres formations politiques. S. H. Des erreurs de casting Le RND a commis l'erreur d'éliminer de la course aux élections législatives ses meilleurs députés sortants et cadres rejetés par la commission nationale de candidature sans aucune forme de procès. Conséquences : des résultats électoraux médiocres (le RND n'obtient que 49 sièges à l'APN alors qu'il avait 155 députés dans la précédente législature), une démobilisation des cadres et surtout une importante grogne des militants. Une tentative de putsch contre Ouyahia est entreprise par les membres du Conseil national en colère, au lendemain des élections législatives. Ouyahia démissionne. Il revient sur sa décision le lendemain et reprend en main le parti, sans parvenir réellement à ressouder ses rangs. Les dissidents sont exclus. Des cadres, à l'instar de Smaïl Dine (ancien ministre de l'hydraulique, et président de la commission parlementaire des finances durant les trois dernières années de la précédente législature), claquent la porte, désabusés par le comportement irrationnel du secrétaire général. D'autres cadres prennent leurs distances avec le parti. Le congrès national, tenu au mois de mai dernier, agrandit quelque peu le front de mécontentement, car il a reconduit, dans le choix des membres du Conseil national et du bureau politique, les conditions ayant prévalu dans l'établissement des listes électorales pour les législatives. Selon une source interne au Conseil national, les représentants de certaines wilayas de l'est (Khenchela, Batna, Oum-Bouaghi et Souk- Ahras) ont pris leurs distances de la direction du parti parce que Boubekeur Benbouzid, l'actuel ministre de l'éducation nationale, ne siège pas au bureau politique. Il est clair que le secrétaire général du RND ne jouit pas d'une popularité sans faille au sein de son propre parti. Il convient de reconnaître, néanmoins, qu'il ne risque pas de subir une fronde de l'ampleur de celle qui a secoué le parti en 1999 (dissidence du groupe de Sifi et départ forcé de Benbaïbèche et de ses alliés), tout simplement parce qu'il a le pouvoir, jusqu'alors de maintenir la contestation intra-muros et surtout en sourdine. S. H. Renouvellement partiel du Sénat Le RND privilégie l'alliance avec les “redresseurs” Ahmed Ouyahia a adressé, au début de cette semaine, une note aux coordinateurs de wilaya du RND, contenant les instructions à suivre dans la préparation des primaires puis des élections sénatoriales, programmées pour le 30 décembre prochain. Dans le dixième point de l'instruction, il est dit : “dans le cas où l'assemblée générale des élus locaux atteste que les seules voix des élus RND ne suffisent pas à l'élection du candidat du parti, il reviendra au bureau de wilaya de contracter des alliances avec d'autres formations politiques. La priorité sera toutefois donnée au groupe dit des “redresseurs”, en prenant en compte l'intérêt du parti au niveau local.” Cette directive aurait paru banale, si elle ne comportait pas la motion de “priorité” à accorder aux détracteurs de Ali Benflis en matière d'alliances stratégiques. Elle ne permet plus le doute sur le rapprochement, déjà sous-entendu, entre le RND et le mouvement de “redressement” du FLN, dirigé provisoirement par Abdelaziz Belkhadem. La démarche en question s'inscrit bien évidemment dans la logique de conforter la position du Rassemblement au Conseil de la nation où il garde trente-cinq sénateurs qui n'ont consommé que la moitié de leur mandat de six ans. Elle confirme surtout les velléités d'Ouyahia d'empêcher le FLN, sous la direction de Ali Benflis, de faire une percée appréciable au Sénat et préserver ainsi les intérêts de son parti et ceux du président de la République. S. H.