L'actualité est nucléaire et le restera tant que la communauté internationale n'aura pas trouvé une solution consensuelle au problème de la prolifération qui a un double aspect : sécuritaire et économique. En effet, ce problème est lié entre autres à la question de l'électronucléaire qui émerge comme la voie la plus fiable à suivre pour satisfaire dans les prochaines décennies les besoins mondiaux croissants en énergie. Cela est très important pour l'avenir de l'humanité, principalement pour les pays en voie de développement, dans la mesure où l'énergie tient une place primordiale dans la vie quotidienne du citoyen et conditionne le progrès économique et social. Doit-on barrer le chemin de l'avenir aux pays en voie de développement (PVD) au nom de la lutte contre la prolifération ? Depuis 35 ans, le TNP est la pierre angulaire du régime de non-prolifération et contribue grandement à la sécurité collective. Sa quasi-universalité (moins l'Inde, Israël et le Pakistan) a permis d'enregistrer des résultats appréciables, mais son avenir suscite quelques inquiétudes, principalement depuis l'échec de la conférence de révision en mai 2005, à New York. Cette conférence a confirmé la faiblesse de ses deux piliers, le désarmement et l'accès à l'utilisation pacifique de la technologie nucléaire (il sera question dans les lignes qui suivent de l'électronucléaire), qui font l'objet de divergences majeures entre les pays développés et ceux en voie de développement (PVD). Depuis le 11 septembre 2001, la prolifération des armes de destruction massive (ADM), en général, et des armes nucléaires, en particulier, couplée à la crainte de voir de telles armes tomber sous le contrôle de groupes terroristes a accentué ces divergences. Les pays développés estiment que l'accès aux technologies nucléaires comporte des risques de prolifération inacceptables dans certains pays du Sud. Ces derniers mettent en cause les arsenaux détenus par les puissances nucléaires (et les pays du seuil, soit environ 27 000 têtes nucléaires) qui refusent de désarmer et de leur octroyer des garanties de sécurité et revendiquent leur droit à l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Il faut admettre que la dernière décade a été assez mouvementée en matière de prolifération nucléaire 1 La découverte d'activités nucléaires non autorisées aux termes du TNP par des pays membres a contribué à accroître la tension. Le programme irakien a subi déjà un coup d'arrêt en 1981, à la suite du bombardement israélien (opération « Opéra ») du réacteur Osirak, fourni par la France, avant d'être anéanti par les deux guerres du Golfe. La Libye a admis l'existence d'un programme nucléaire clandestin, mené en violation des engagements souscrits par son adhésion au TNP, et y a renoncé « volontairement ». L'issue de celui de la Corée du Nord, qui a dénoncé le TNP et déclaré qu'elle était en possession de l'arme nucléaire, demeure incertaine malgré quelques succès relatifs réalisés dans les discussions au sein du groupe des six. L'Iran, où l'AIEA a découvert des activités clandestines d'enrichissement de l'uranium, est en plein bras de fer avec les Occidentaux (cf. El Watan du 25 septembre 2005 et du 21 décembre 2005) ; la réunion ordinaire du Conseil des gouverneurs de l'AIEA, le 6 mars 2006, pourrait marquer un tournant décisif pour ce pays et pour tous les pays du Sud en ce qui concerne l'accès aux technologies nucléaires. 2 La découverte du réseau A.Q. Khan de trafic des technologies nucléaires a été inquiétante ; pour la première fois, la preuve était faite publiquement que le régime de non-prolifération pouvait être sérieusement menacé par des entités non étatiques (le réseau A.Q. Kahn aurait été déjà signalé en 1984 dans les milieux du renseignement). 3 La nucléarisation de l'Asie du Sud-Est asiatique est devenue une réalité. En mai 1998, l'Inde et le Pakistan ont procédé à des essais nucléaires suscitant la condamnation sinon la réprobation de la communauté internationale. A titre d'exemple, un pays comme le Brésil, dont la diplomatie est toute en rondeur, avait dénoncé l'Accord de coopération nucléaire qui le liait depuis deux ans à l'Inde. Pour essayer d'enrayer toute tentative de prolifération, l'AIEA a mis au point, en 1997, un Protocole additionnel (PA) qui doit devenir la norme en matière de vérification. Les Etats qui adhèrent à ce nouvel instrument s'engagent à accepter un régime de vérification très intrusif de leurs programmes nucléaires dans la mesure où l'Agence fixe librement le champ de ses investigations et bénéficie d'une liberté d'accès à tout lieu, dans des délais très courts. La levée de toute limite au champ d'investigation de l'agence est de nature à accroître la transparence des programmes nucléaires en limitant drastiquement toute velléité éventuelle de la part d'un Etat de chercher à soustraire certaines activités aux inspecteurs de l'AIEA. Aussi intructif soit-il, le régime de vérification renforcé instauré par le PA ne semble pas satisfaire les Etats-Unis et l'Union européenne qui sont à la pointe de la lutte contre la prolifération nucléaire : 1 Les Etats-Unis, notamment quand le Parti républicain est au pouvoir, n'ont aucune confiance dans l'efficacité des Traités et ne croient pas que l'ONU et l'AIEA puissent juguler la prolifération nucléaire, principalement dans les « Etats voyous ». Ils privilégient la manière forte qui va des sanctions à la guerre en passant par la déstabilisation des régimes récalcitrants. En Irak, ils ont vainement essayé de faire chuter le régime baâthiste avant de recourir à l'occupation du pays avec toutes les conséquences que l'on sait. 2 Les Européens, en général, ont montré leur attachement aux Traités pour lutter contre la prolifération nucléaire et ne reconnaissent pas la notion « d'Etats voyous ». Ils préfèrent épuiser toutes les possibilités qu'offre la diplomatie pour essayer de régler un litige ; cette règle a guidé pendant un certain temps leur démarche envers l'Iran. Respectueux de la légalité internationale, ils subordonnent tout recours à la force à l'autorisation préalable du Conseil de sécurité. La crise iranienne est une épreuve pour l'Europe qui semble se rallier à la position américaine pour instaurer une coopération transatlantique solide dans le domaine de la lutte contre la prolifération nucléaire. Globalement, Américains et Européens se rejoignent sur l'objectif ultime qui est le refus sans appel de toute prolifération nucléaire. Cet objectif est partagé par l'ensemble de la communauté internationale. Néanmoins des ambiguïtés doivent être levées, des compromis doivent être trouvés entre les pays développés et les PVD avant d'arriver à asseoir un régime solide de non-prolifération. Un compromis acceptable par les deux parties est-il possible ? La réponse tient à la clarification de deux préalables qui sont les deux piliers du TNP dont il a été question plus haut : le désarmement et l'utilisation pacifique du nucléaire. 1 A propos de désarmement, on sait que les P5 n'ont aucune intention d'éliminer leurs arsenaux nucléaires qui sont source de prestige et de puissance et occupent une place privilégiée dans leur stratégie de défense. Ce qui signifie qu'ils n'ont nullement l'intention de respecter les termes du TNP dont l'ultime objectif est un monde débarrassé d'armes nucléaires. Bien au contraire, ils poursuivent avec assiduité le perfectionnement de leurs arsenaux. Ce qui pose la question ancienne et lancinante de la sécurité des pays non nucléaires et en particulier des pays du Sud qui ne bénéficient d'aucun parapluie. 2 A propos d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire, la question est encore plus complexe. Refusant de désarmer et poursuivant le perfectionnement de leurs armes nucléaires, les pays nucléaires demandent aux pays non nucléaires d'aller au-delà des engagements souscrits dans le TNP en renonçant à certains de leurs droits en matière d'acquisition de technologie nucléaire et de savoir faire, notamment la maîtrise du cycle du combustible nucléaire sous prétexte qu'il peut conduire à des applications militaires. Cela revient à empêcher les pays qui ont les moyens de développer l'électronucléaire pour préparer l'avenir : suppléer à l'épuisement des combustibles fissiles. Au moment même où cet objectif est poursuivi et publiquement proclamé et encouragé par ceux qui se font les champions de la lutte contre la prolifération nucléaire : En France, 58 réacteurs fonctionnent dans 19 centrales. Le nucléaire tient un rôle central dans le domaine de l'énergie avec une part de 80% dans la production d'électricité (hydraulique = 12%). Ce qui permet à ce pays d'atteindre un taux d'indépendance énergétique de 50%. Cela est le résultat d'une politique adoptée depuis le début des années 1970 (premier choc pétrolier) et poursuivie de nos jours comme l'atteste la décision de l'EDF de commencer, dès 2007, la construction d'un réacteur de 3e génération (ERP) à Flamanville, pour être opérationnel en 2012. (La Finlande a également pris la même décision). A long terme, la France œuvre au développement des programmes nucléaires du futur (2040) et participe à des recherches qui visent des horizons plus éloignés encore (projet ITER dont il sera question plus loin). (A suivre)