Cheveux aux vents, jeans sablés, téléphones portables diffusant musique à pleins décibels, de jeunes Imuhar (Targuis) s'amusent à la «terrasse» Mille étoile du café de Tinzaouatine. Jeu de dominos à quelques encablures du camp du Mouvement Azawad (MNLA), planté derrière l'oued Tinzaouatine. Les vents de sable tombent, accordant quelques heures de répit, une trêve fragile en cette nuit du jeudi 12 avril. Des travailleurs de Sonatro (Société nationale des grands travaux routiers) errent, torse nu, à travers les rues mal éclairées de la commune (10 000 habitants), fâchés de surcroît avec l'asphalte. Sonatro construit, depuis un an, un aérodrome pour l'armée de l'air. 1 500 m de piste réalisés par d'intrépides ouvriers venus du Nord. Yazid, conducteur d'engins, compte les jours qui lui restent : 45 jours de travail, 21 de repos. La prime de zone de 14 500 DA (pour les cadres) n'a pas été actualisée depuis les années 1980. Les incitations et compensations financières accordées aux travailleurs de l'extrême Sud sont tout sauf de nature à encourager. Sous-administrée malgré la profusion d'équipements publics, la municipalité fait face à des défaillances en encadrement et ce, de l'aveu même de son président : «Nous n'avons que des travailleurs avec des contrats à durée déterminée, et qui plus est repartent plus vite au Nord.» Un couple, une dentiste et un enseignant, se sont installés depuis quelques mois. Pour combien de temps encore ? Mystère. Ahmed Chetou, le maire FLN de l'agglomération, ancien technicien de Sonarem, est néanmoins fier des «bonds gigantesques» réalisés ces dernières années en matière d'investissements et équipements publics. «Avant, c'était le néant, dit-il. Un peu Chebrach, la Tinzaouatine malienne d'aujourd'hui.» La commune de 10 000 habitants, un concentré de tribus touareg, arabes, de réfugiés et d'immigrants forcés, nomades-nés mais forcés à la sédentarisation, s'équipe : un centre de santé de proximité, un CEM avec internat (250 places), un lycée pour 2012, un bureau de poste, une maison des jeunes, un relais Mobilis… et un câble de fibre optique : du web à haut débit qui amarre cette portion du vieux monde à la mondialisation. Elevage, commerce, contrebande font vivre la Tinzaouatine. La 49e wilaya à beau être le bout du monde (algérien) ; l'Etat n'a encore rien fait pour la rendre accessible par route. «Peut-être que nous ne sommes pas une priorité aux yeux des décideurs», ose un reproche, notre maire. Le projet «existe», selon lui, les différents marchés attribués, mais pour l'heure, rien de concret ne pointe à l'horizon. De Silet, sud de Tam, jusqu'à Tinzaouatine, un déroulé de 360 km de piste sommairement balisée. Les panneaux solaires qui équipaient les balises ont été vandalisés, volés. «En 2011, une famille entière, 6 personnes, dont une fillette de deux ans ont été retrouvés morts de soif et d'égarement. Une panne moteur, raconte un gendarme, les a obligés à abandonner le véhicule. On retrouva d'abord, sous un acacias, la mère avec son enfant, les corps desséchés, puis le vieux, seul, un peu plus loin, et les trois autres, étendus raides morts, à côté de la bouche d'un hassi (puits) essayant de puiser l'eau avec leurs chèches». Rares sont les transporteurs (de voyageurs ou de marchandises) à oser défier les éléments. Quelques nordistes quand même, des irréductibles, bravent néanmoins le désert. Des transporteurs sétifiens, dont la témérité est saluée ici-bas, font le pari d'approvisionner la sous-région. La compensation par l'Etat des frais de transport des produits de première nécessité y est pour beaucoup : les prix, eux, font du yoyo, inaccessibles aux petites bourses. Rahali Chakib, patron oranais d'une entreprise de travaux publics, vient en éclaireur à Tinzaouatine. Il arrive un jour de tamadalit (tempête), complètement retourné. Son entreprise devrait dégager sur plus de 160 km de linéaire la piste reliant Tinzaouatine à Timiaouine, au nord-ouest, à travers regs et oueds. L'éloignement, les conditions extrêmes dans lesquelles son entreprise devrait évoluer dans les prochains mois lui donnent des sueurs froides, de la matière à renoncement. «Ça va nous coûter une fortune rien que pour acheminer tout le matériel, à supposer déjà qu'on puisse le faire par cette piste», fulmine le boss, sous le regard apeuré, écrasé par l'ampleur du chantier, de ses collaborateurs. Une chose est sûre : la «route promise», la n°55 A, ne l'est pas pour demain.