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le claquant, le clinquant
Cinéma. Le festival international de Cannes
Publié dans El Watan le 19 - 05 - 2012

Baignée de soleil et parcourue par un vent frais, la ville cossue de Cannes, haut lieu de la Côte d'Azur, est traversée de partout par les symboles du festival.
De notre
envoyé à Cannes
Aucune vitrine qui ne porte l'affiche de l'événement, fût-elle celle d'une bonneterie ou d'une boucherie. On ne peut tourner son regard quelque part sans trouver dans son champ de vision, placé tous les trente mètres, un de ces oriflammes arborant le célèbre logotype palmé et le numéro de l'édition, la soixante-cinquième. Ou des suspensions au-dessus des rues, s'illuminant à la nuit tombée. Ou des collections de tee-shirts siglés Festival. Ou encore des bus couverts de promotions de l'événement. Ou des façades de bâtisses avec le portrait peint géant de Marilyn Monroe, mythe de la beauté, martyre du cinéma. Cette omniprésence de la star s'explique par l'affiche officielle du festival, placé sous le thème de «l'éternelle jeunesse», celui de l'actrice, figée à jamais par les pellicules et les photographies et celui de la plus prestigieuse rencontre du septième art au monde. Un design épuré, en noir et blanc, où cette déesse des écrans souffle l'unique bougie d'un gâteau d'anniversaire.
La création d'une excellente agence parisienne de communication, Bronx, retenue sur concours. La volonté d'exprimer, qu'en dépit des crises qui affectent le monde, le cinéma demeure un ressourcement permanent, une sorte d'élixir de jeunesse servi par les images, les sons et les histoires. Une conception que certains rattachent à la personnalité du délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, qui occupe ce poste depuis onze ans maintenant et qui demeure directeur de l'Institut lumière de Lyon. Innovateur, il reste attaché à la grande tradition du cinéma, à ses étapes pionnières et à la richesse historique de cet art. C'est cet esprit de filiation, voire de patrimoine, qui l'a amené d'ailleurs à créer Cannes Classics, une nouvelle section, parmi les nombreuses de l'immense conglomérat culturel et commercial qu'est devenu le Festival de Cannes.
A propos de Cannes Classics, il déclare dans le hors-série de la revue Ecran Total : «Peut-on imaginer un chef d'orchestre qui ne connaisse pas l'histoire de la musique ? Un écrivain qui ignorerait tout de sa discipline ? Il m'est naturel de continuer à voir les films de l'histoire du cinéma. Et c'est depuis l'Institut Lumière que j'ai pensé à créer Cannes Classics, puisque le patrimoine est aussi frappé – positivement ! – par le numérique.» Tout cela peut expliquer la référence à Marilyn Monroe, icône d'un cinéma triomphateur encore lié aux dizaines de milliers de salles obscures dans le monde, des plus luxueuses aux plus humbles, bien que le déferlement de nouvelles technologies, du magnétoscope au home-cinéma, en passant par les DVD et Internet, ait fait replier cet art sur les domiciles, le privant progressivement de ces rituels sociaux de rencontre en des lieux collectifs.
Mais Marilyn Monroe, c'est aussi la puissance du glamour, la création de nouvelles idoles, les strass, les paillettes et les paparazzis, le spectacle, non plus seulement des films, mais celui de ceux qui les jouent, réalisateurs, mais surtout acteurs et actrices, quasi-divinisés, et actrices davantage, envisagées à la fois comme des plastiques idéelles et des fées du monde moderne en manque de réconfort et de passions.
Ainsi, le Festival de Cannes apparaît-il bien comme une belle machine oscillant entre le claquant et le clinquant. Le claquant de films bien faits et/ou à fort contenu et le clinquant des mondanités et autres allégresses de ce que l'on nomme "le people". Entre le déroulement des bobines porteuses d'expressions filmiques, la montée des marches éclaboussées par les flashes des photographes et les cris d'une foule transie d'émotion à la vue de ces stars. Le clinquant l'emporte parfois sur le claquant, nécessité oblige, cette dernière étant aussi celle de la dualité particulière du cinéma, à la fois art et industrie, message et business.
En ce jour d'ouverture, mercredi 16 mai, les spectateurs de ce second spectacle se pressent déjà sur la Croisette, autour du Grand théâtre Lumière, où a lieu la compétition du Festival, dans l'espoir d'apercevoir l'un des monstres sacrés du septième art. On attend Nicole Kidman de retour avec deux films. On attend Robert de Niro. On attend un tel et une telle. Cela paraît à la fois fascinant et pathétique, quand on sait que la plupart des gens présents ne pourront pas voir les films, sauf quand ils seront distribués en salle. Pierre, 62 ans, administrateur d'un laboratoire médical en Belgique, vient à Cannes depuis plus de vingt ans. C'est un ancien animateur de ciné-club, grand connaisseur des genres, des œuvres, etc. Il semble tout connaître du septième art. Il me fait un véritable exposé sur Youssef Chahine avant d'enclencher sur Kazan, Fritz Lang et Bunuel.
Quand je lui demande, en plaisantant, pourquoi il fraie avec la foule énamourée de la montée des marches, sa réponse est désarmante : «Mais, Monsieur, je viens pour ça à Cannes. Les films, je les vois à Anvers. Mais quand vous achetez une fleur, vous avez besoin de la sentir, non ? Voilà, je viens pour humer le monde du cinéma, sa magie peut-être légère mais sans laquelle, il n'y aurait pas de cinéma. Cannes, c'est le cinéma du cinéma, voilà.»
Pourtant, ce n'est pas le cinéma qui manque à Cannes, mais on peut comprendre que ceux qui n'y ont pas accès se contentent de le sentir. Le cinéma, ce sont ces films sélectionnés dans tant de sections, que rares sont ceux ici qui peuvent toutes les citer sans en omettre plusieurs. Il y a la Compétition longs métrages avec 22 films, dont Après la bataille, de l'Egyptien Yousri Abdellah ; la Compétition courts métrages avec 10 films ; les trois films hors compétition ; les trois autres en séances de minuit, car Cannes ne dort pas ; les onze des séances spéciales. A ceux-ci, il faut ajouter les 19 films de la Quinzaine des réalisateurs, où l'on compte Le Repenti de Merzak Allouache, ainsi que 10 courts et 3 en séances spéciales. Puis, vient encore la Semaine de la critique avec ses 7 longs, ses 5 en séances spéciales et ses 10 courts.
Encore, la section Un certain regard et Cannes Cinéphiles, etc. On a déjà le tournis, et ce n'est pas fini puisqu'il faut compter avec les hommages et le marché du film qui brasse des milliers de films, ou encore le Village international dont les pavillons nationaux présentent chacun ses films ou ses projets en promotion. C'est dans ce lieu que l'Algérie se fait remarquer, son pavillon occupant une place privilégiée à proximité des lieux les plus passants du Festival, soit à proximité des accès au grand temple aux marches rouges et la place du marché du film.
La revue de ce dernier, Cannes Market News, consacre d'ailleurs un article qui salue l'arrivée de l'Algérie dans ce lieu très convoité, à telle enseigne que la Tunisie, qui a failli perdre son emplacement, suite au refus de l'actuel ministre de la Culture, est quand même présente grâce à la mobilisation des producteurs de ce pays qui ont payé les frais de réservation à la place de leur gouvernement ! C'est dire l'importance d'être dans cet espace où qui part perd sa place. En ce premier jour venteux, le drapeau algérien flottant sur la Croisette n'est pas passé inaperçu. De nombreux Algériens cannois, s'arrêtent avec émotion et viennent parler et questionner. Il se trouve que nombre d'entre eux travaillent pour le Festival de Cannes ou dans des sociétés de production et de distribution françaises ou internationales.
«Pourquoi avoir attendu tant de temps», demandent la plupart d'entre eux à la dynamique Nabila Rezaïg, chef du département cinéma de l'AARC (Agence algérienne pour le rayonnement culturel) et son collaborateur, Nesroun Bouhil qui, avec toute l'équipe d'Alger, préparent depuis janvier cette présence. L'espace qui mêle décors architecturaux anciens et design contemporain, sont agréables et rationnels. Un écran plasma diffuse des extraits de films en promotion Zabana de Saïd Ould Khelifa, L'Andalou de Mohamed Chouikh, Yema de Djamila Sahraoui. L'endroit est très animé. On distribue des étuis contenant des fiches sur le cinéma algérien : café, thé et gâteaux algériens ramenés d'Alger par les animateurs contribuent à cette convivialité active renforcée par la qualité de l'emplacement.
A l'intérieur et sur la petite terrasse attenante, les professionnels algériens reçoivent leurs pairs étrangers. Des contacts sont engagés. Les cinéastes algériens sont invités dans les autres pavillons et sur les lieux du festival. Les représentants des festivals de Toronto, de Doha et d'Abou Dhabi sont venus formuler des propositions. Cette dynamique encourage les animateurs de l'AARC et les cinéastes algériens invités. Déjà, le travail se déploie vers l'extérieur. On comprend qu'il faut à la fois accueillir et se rendre chez les autres. Les participants parlent de se répartir pour être fortement présents à la projection du film de Fatma-Zohra Zamoum, Combien tu t'aimes, qui sera projeté le 22, et, bien sûr, à celle du film de Merzak Allouache sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs qui passera le 19 au Théâtre Croisette. Yahia Mouzahem et Mounés Khammar ont décroché des entretiens avec des producteurs. Sofia Djama passera son film au Short Corner.
Le jeudi 17, première journée thématique, est d'ailleurs consacré à la promotion de la nouvelle génération de cinéastes où l'on comptera, en plus des précités, Mounia Meddour, jeune réalisatrice, fille du regretté Azzedine. Le vendredi, promotion du film Zabana avec le réalisateur, le producteur Yacine Laloui et les comédiens Imad Bencheni et Abdelkader Djeriou. En après-midi, une présentation des institutions du cinéma en Algérie par Mourad Chouihi du ministère de la Culture. Aujourd'hui, est prévue la promotion du film L'Andalou, avec son réalisateur et sa productrice, Yamina Chouikh. En après-midi, Hachemi Zertal (Cirta Films) et Malek Ali Yahia (MD Ciné) viendront parler de la distribution en Algérie. Demain, ce sera le tour de la promotion du film Yema et, en après-midi, une présentation de l'Algérie en tant que lieu diversifié de tournage, thème qui nous a été proposé.
La suite se concentrera sur la poursuite des contacts entrepris et l'engagement de nouveaux, soit un travail intense de relations publiques. Pour Mustapha Orif, directeur général de l'AARC, cette journée est encourageante. «Cependant, précise-t-il, il faut tenir sur toute la durée du Festival et faire du Pavillon algérie une vitrine efficace de notre cinéma et de son potentiel. Le cinéma algérien a besoin d'être dans ces lieux, de mieux connaître le marché international et les méthodes nouvelles de coproduction et de partenariat, de bénéficier d'une visibilité plus grande et plus claire. Aussi, de nouer des relations avec des professionnels du monde entier.
A la fin du Festival de Cannes, le Pavillon Algérie doit faire état d'un nombre donné de contacts, de propositions, de perspectives. Il devra avoir montré la disponibilité de l'Algérie à soutenir ses cinéastes dans leurs projets. C'est une dynamique qu'il faut enclencher et non pas une présence honorifique simplement.» Un objectif qui concerne non seulement Cannes mais aussi d'autres manifestations. Mais il est sûr qu'ici, on est au cœur de la planète cinéma.


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