Très peu médiatisé, on a essayé, à travers cet entretien, de vulgariser le travail du Tribunal arbitral des sports, en posant quelques questions au président de cette instance. A bâtons rompus, nous faisons le tour du sujet avec Me Benbelkacem. - Tout le monde connaît le TAS, mais beaucoup ignorent ses prérogatives. Comment pouvez-vous nous expliquer le rôle du Tribunal sportif en quelques mots ? Selon l'article 54 et 55 de la loi 10-04/10 sur l'activité physique et sportive, le COA doit créer une commission arbitrale pour régler les litiges dans le mouvement sportif. Et c'est là qu'intervient le Tributal arbitral des sports algériens, en utilisant 3 voies. La concertation, la méditation et l'arbitrage. Il est dit aussi que chaque fédération doit insérer dans son statut la clause d'arbitrage et doit aller devant le tribunal pour tout litige et conflit. Tous les adhérents aux mouvements sportifs, aux fédérations, ne peuvent en aucun cas aller devant un tribunal civil, car la loi spéciale prime sur la loi générale. Au TAS, qui est une structure indépendante et souveraine, il y a un président, deux chambres, des assesseurs et un greffier. Pour les chambres, il y a la chambre ordinaire qui concerne des litiges liés à des sponsors et autres contrats de marketing. La chambre d'appel, par contre, traite des autres conflits entre des parties en litige. Et elle n'intervient qu'après l'épuisement de toutes les procédures internes, au club, aux fédérations et à la tutelle.
- Sa création en 1999 était-elle une exigence du CIO ? L'Algérie est l'un des rares pays à créer son tribunal sportif. Il faut aussi savoir que les différents comités olympiques ne sont pas obligés d'avoir leurs propres tribunaux des sports. Et l'expérience algérienne dans le domaine est même prise en exemple. Le président du CIO, Jack Rogge, en personne m'a félicité pour notre travail. Lors d'une récente conférence internationale à Paris sur les tribunaux sportifs, le représentant du TAS de Lausanne a même mis en exergue le code de procédure du TAS algérien, qui est un exemple à suivre.
- Et quelle est justement votre relation avec le TAS de Lausanne ? On n'a aucun rapport direct. Simplement l'article 39 des statuts du COA précise que toute partie en conflit et qui s'estime lésée par une décision de notre tribunal, peut recourir, en dernière instance, au TAS de Lausanne, quand toutes les procédures internes ont été épuisées. Et cela est une obligation.
- On évoque une certaine dépendance dans la mesure où vous êtes financés par le COA, qu'avez-vous à répondre ? Le président du tribunal propose un budget pour l'année au COA. Il faut savoir que notre budget de fonctionnement est joint au bilan du COA qui est transmis au MJS, qui débloque par la suite l'argent au COA, qui vire l'argent au tribunal. Et jusqu'au jour d'aujourd'hui, on n'a pas reçu notre subvention, deux ans depuis notre installation. Notre tribunal est totalement autonome aussi bien vis-à-vis du MJS que du COA, notamment dans les prises de décision.
- On peut donc parler de dépendance, au moment où le docteur Hanifi plaide une autonomie du COA ? Le tribunal est financé par la MJS qui doit payer du budget de l'Etat les frais de fonctionnement du Tribunal arbitral. Nous, nous n'avons rien à voir avec le fonctionnement du COA. Maintenant, s'il y a un problème entre les hommes, il ne faut pas que les institutions, dont la nôtre en pâtissent. J'ai saisi le ministère qui a proposé de nous verser directement la subvention, sans passer par le COA. Chose que j'ai refusée, car je suis un légaliste et je suis le premier tenu à faire respecter les procédures d'usage.
- Pourquoi alors avoir refusé ? Je suis un légaliste et je voulais surtout éviter qu'on m'accuse de rouler pour une partie ou une autre. La mission du tribunal est délicate et on n'a pas besoin de susceptibilité. Il suffirait qu'on rende une seule décision en faveur du ministère pour qu'on nous taxe de rouler pour lui. Voilà pourquoi j'ai refusé et que notre institution survive grâce à des avances du COA, en attendant qu'on rembourse par la suite. Pourtant, il ne s'agit que d'indemnité et de frais de fonctionnement. Pour vous situer, je tiens à vous préciser que le budget de fonctionnement du tribunal pour trois ans ne dépasse pas trois mois de salaire d'un joueur de football professionnel. Ça vous donne une idée.
- Les décisions de votre instance sont-elles exécutoires ? Les décisions prises par le Tribunal d'arbitrage sont définitives et exécutoires au niveau national. Il n'y a pas d'appel à l'échelle nationale. Le seul recours valable est au niveau du TAS de Lausanne.
- Malheureusement, ce n'est pas le cas dans plusieurs affaires. Comment l'expliquez-vous ? C'est le président du tribunal de Bir Mourad Raïs qui donne le visa de l'exécution d'une décision. Ce n'est pas au TAS de suivre l'application des décisions. Je dirais à sujet que c'est un peu la mauvaise foi des responsables de club et de certaines fédérations qui n'appliquent pas les décisions. Cela est grave, car la décision est exécutoire et obligatoire. Donc, dans ce cas de figure, c'est à la tutelle, le MJS, d'intervenir et de forcer les concernés à exécuter ces décisions, ce qui n'est malheureusement pas le cas. Dans le monde entier, c'est la procédure, sauf en Algérie.
- Comptez-vous remédier à cette situation ? J'ai proposé dans le cadre de la réforme de la loi 04-10 qu'on ajoute une disposition rendant le Tribunal arbitral compétent pour l'exécution de ses sentences. C'est le seul moyen, à mon sens, pour pouvoir appliquer les sentences du tribunal sportif qui sont en principe exécutoires. Ainsi, on pourrait infliger une suspension à toute institution ou club qui n'exécute pas une sentence. Mais dans l'ensemble, les sentences sont exécutées, en dehors de cette affaire.
- Les membres du bureau exécutif du COA se sont plaints récemment du fait que vous ne communiquez pas vos décisions... Le tribunal est autonome et n'a aucun compte à rendre même au COA. L'arbitrage universel est géré par la confidentialité, l'autonomie et l'indépendance. Je précise que ce sont les parties concernées qui communiquent à la presse les décisions et non le tribunal sportif.
- Les Fédérations vous facilitent-elles la tâche ? J'ai proposé à toutes les Fédérations de me remettre leur statut et règlement intérieur actualisé. Je leur ai aussi demandé de proposer cinq arbitres (juriste ou avocat) et deux experts, pour faciliter la tâche du tribunal, mais il n'y a eu que deux ou trois fédérations qui ont proposé des noms. Et ce n'est pas facile de traiter des dizaines d'affaires avec 6 membres seulement, puisque 3 membres nous ont quittés ces derniers mois, en raison de la grande charge. Il faut savoir aussi que certains responsables de fédération ne connaissent même pas le statut de leur propre structure. C'est ce qui fait qu'il y a souvent des malentendus.
- Le TAS a-t-il le droit de s'autosaisir ? En matière d'arbitrage, sans demande de plaignant, il ne peut s'autosaisir. Et je suis contre cette idée, pour la simple raison que si on s'autosaisit, cela veut dire qu'on a des préjugés. C'est une règle cardinale en matière d'arbitrage universel.
- Est-il habilité à enquêter ? Evidemment. On a traité des affaires où on avait besoin de moyens techniques des laboratoires de la DGSN et de la Gendarmerie, et on l'a fait. C'est dans nos prérogatives. Ce qui nous intéresse, c'est de faire toute la lumière sur l'affaire qu'on traite
- Exerce-t-on des pressions sur vous ou sur les autres membres du TAS ? Pas vraiment. Il est arrivé, qu'on me demande «gentiment et amicalement» d'être indulgent, mais ma réponse est toujours la même quels que soient la personne, son niveau de responsabilité ou d'amitié. Dès qu'on me parle d'une affaire en cours, je coupe court à la discussion. Il m'est arrivé de me retirer d'une affaire quand mon jugement est susceptible d'être altéré. Je n'ai qu'une seule devise, rendre justice à celui qui le mérite. Je suis rigoureux. Ce sont plutôt les présidents de certaines fédérations sportives qui essayent d'exercer pression sur moi. Nous sommes indépendants. Je précise aussi que la seule obligation que j'ai vis-à-vis du COA, en tant que président, c'est de présenter le bilan des travaux du Tribunal à chacune des assemblées générales du COA. Et je défendrais cette autonomie. On a toujours pris des décisions courageuses, même si cela choque certaines personnes et personnalités, car on est légalistes, tout simplement. Et les décisions n'ont pas été faciles à prendre dans certains cas. Le tribunal est l'ultime rempart à l'injustice dans le sport. Et si on nous sollicite, c'est en raison de notre crédibilité.
- Certains dossiers de litige ont été traités avant d'autres, alors que d'autres traînent depuis plusieurs mois. Qu'en est-il au juste ? On est dépassés. Et pour qu'un dossier soit traité avec célérité, il faut une demande des plaignants. Il faut que la personne ou l'institut qui saisit le tribunal le mentionne dans sa demande et elle est traitée en référée tout simplement. Vous savez, on statuait tous les samedis, et là on est en train de statuer trois fois par semaine. Quand je suis venu, il y avait une cinquantaine d'affaires et très complexes de l'ancien bureau. Et on compte apurer le rôle du tribunal d'ici le mois de septembre. Parfois, il s'est avéré qu'on envoie des convocations sans qu'on daigne y répondre. D'autres fois, c'est même l'adresse qui est fausse. Sans téléphone et je ne vous raconte pas au sujet des erreurs d'appellation de certains clubs. On a même envoyé des convocations par huissier de justice et les intéressés refusaient de les signer et de répondre. C'est tout cela qui a fait qu'on n'a pas statué sur certaines affaires. On est toute la semaine et même le week-end ici, tellement plusieurs dossiers sont sur notre bureau. A un moment, les membres du tribunal ont même décidé de geler les activités et c'est sur mon insistance que le tribunal fonctionne encore, grâce au volontariat. On est à 240 affaires depuis juin, et on a traité 75%. Même le TAS de Lausanne n'a pas traité autant d'affaires en 15 ans d'existence.
- On vous laisse le soin de conclure... J'invite les responsables des fédérations à bien cerner leur statut pour éviter des conflits inutiles. On aura une réunion ce lundi avec les responsables du COA et on a demandé de revoir certains statuts, concernant notamment le système de financement, la saisine et réduire les délais pour le traitement des dossiers, car ça devient trop important. On va aussi relancer les fédérations au sujet des arbitres. Tout un dossier qu'on présentera à l'AG du COA et au ministère, dans l'espoir d'avancer et réduire considérablement le nombre de plaintes.