foulard blanc rouge autour du cou, on les voit déposer des gerbes de fleurs lors de commémorations ou debout derrière les barrières Vauban lors des bains de foules du Président. Les Scouts musulmans algériens, qui fêteront dimanche 27 leur Journée nationale, sont devenus une institution où les valeurs d'entraide et de respect servent de terreau à la manipulation et au recrutement politique. Enquête. «Je me souviendrai toujours de ce jour où nous avons été rassemblés pour un conclave du Hamas. Ce jour-là, nos chefs nous ont demandé de clamer “Hams'' !» dans la salle. Je ne comprenais pas ce que cela signifiait. Puis, mon père, en bon démocrate, m'a expliqué. Avec du recul, j'ai compris que j'avais été manipulé. On voulait faire de nous des militants pour le parti islamiste Hamas.» Mourad, 30 ans, cadre dans une entreprise publique, n'est pas près d'oublier ce 7 décembre 1997 à la salle Rouiched, à Hussein Dey. Profitant d'une rencontre de soutien pour le peuple palestinien, organisée par une association satellite du Hamas, le parti se donnait un nouveau nom, Hams, mouvement de la société pour la paix, suite à la nouvelle loi sur les partis. Mourad était alors membre d'un club de scouts de Bab Ezzouar, où il a passé plus de six ans. «Ils nous dispensaient des cours islamiques, nous obligeaient à apprendre par coeur le Coran, à faire les cinq prières à la mosquée, surtout le vendredi, et assister aux halaqate chaque lundi et jeudi après-midi ou encore à faire la prière dans des mosquées salafistes», raconte-t-il. Du scoutisme au Hamas Seulement voilà. Mourad comme Salim ou Hamid, deux ex-scouts, ne pensaient pas qu'ils seraient amenés à défendre la cause d'un parti islamiste sous le couvert du scoutisme. «Nous étions manipulés ! On collait des affiches du Hamas pendant les campagnes électorales, on assistait aux meetings du parti, aux activités des associations annexes, énumère Salim, 32 ans, enseignant. Et dans la chorale du club, on chantait des madihs. Nous avons même enregistré des cassettes ! Bien sûr, sans jamais toucher un centime. A notre insu, nous nous sommes retrouvés au coeur du dispositif organisationnel du Hamas», confie Salim. Ce dimanche 27 mai, les Scouts musulmans algériens célèbrent leur Journée nationale qui coïncide cette année avec le 71e anniversaire du décès du père du scoutisme algérien, Mohamed Bouras, accusé d'espionnage et exécuté par l'armée coloniale au champ militaire de Hussein Dey. Cette organisation a toujours été proche des milieux islamistes, dirigée à un certain moment par Abdelhamid Ben Badis, président de l'Association des oulémas algériennes. Même le «barrage vert» Devenue nationaliste à l'indépendance, elle aurait même servi, selon de nombreux témoignages, à des programmes d'envergure décidés à l'époque par Houari Boumediène, notamment le fameux projet du «barrage vert». Au milieu des années 1980 puis avec l'avènement de l'islamisme politique algérien, elle est ensuite devenue l'objet de toutes les convoitises. Si aucun travail de recherche ni étude n'a jamais été publié sur les scouts, les témoignages se recoupent tous. Djilali, 40 ans, cadre administratif à Alger, ex-scout de Médéa, a été, comme plusieurs de ses camarades, recruté et envoyé dans les camps d'entraînement en Afghanistan. «Notre chef a procédé à un véritable lavage de cerveau ! Il nous parlait beaucoup de Hassan Al Banna (fondateur des Frères musulmans en Egypte), de Mahfoud Nahnah, fondateur du MSP, du djihadisme… Nous avons fini, mes camarades et moi, par accepter le fait accompli et rejoindre un groupe en partance pour l'Afghanistan. Je n'y suis pas resté longtemps et suis rentré en Algérie via Le Caire. Officiellement, ma présence à l'étranger était justifiée par un stage en Egypte » Un véritable réseau Nombreux étaient des ex-militants du FIS dissous issus des rangs du scoutisme. «A l'époque, on n'accordait pas vraiment de l'importance au travail de cette organisation, ni à ses liens à l'étranger, reconnaît un cadre de l'armée, engagé à l'époque dans la lutte antiterroriste. Mais au fur à mesure de nos enquêtes, nous avons établi des relations entre des membres de cette organisation et des intégristes. Certains d'entre eux sont devenus des terroristes. Attention, je n'accuse pas les Scouts algériens ! Je dis juste que des personnes ont profité de cette couverture pour s'adonner à des activités subversives. Nous avons déjà démantelé une cellule de soutien qui se cachait dans les locaux d'un club de scouts » Le redressement version SMA Dans les années 1990, les SMA sont même devenus une organisation satellite du Hamas. «Sur les affiches électorales du parti, on voit bien que la plupart des candidats sont issus du mouvement associatif et principalement des scouts», atteste un ex-responsable du ministère de l'Intérieur. Rachid, 35 ans, commerçant, ex-scout de Belcourt, se souvient aussi : «Nous étions mobilisés dans toutes les activités du parti. Nous collions des affiches, nous collectionnions les signatures nécessaires pour les candidatures, nous faisions campagne pour le Hamas dans le quartier et nous amassions même des fonds !» Mais les islamistes ne sont pas les seuls à avoir compris le potentiel des scouts. Aujourd'hui, le RND s'intéresserait de près à l'institution. Un des membres des SMA, le commandant des scouts, Noureddine Benbraham, député RND, ex-numéro deux, a renversé son prédécesseur proche du MSP. «Une fois élu à la tête des SMA, il s'est engagé dans un large mouvement de ‘‘redressement'' qui profitera par la suite au RND, écartant dès le début de son premier mandat des figures de l'organisation, notamment ceux proches du Hamas», confie un ancien cadre dirigeant des Scouts algériens. Budgets colossaux Depuis son arrivée au pouvoir, les SMA se sont vu octroyer des budgets colossaux qui se chiffrent en milliards. «Une assise financière qui a permis à l'actuelle direction de se maintenir en poste et servir les intérêts du régime, poursuit notre source. Benbraham a réussi à faire des scouts une annexe du RND.» La guerre entre le MSP et le RND, pour la prise en main de cette organisation de masse n'est pas finie, puisque, selon un cadre du MSP, «dans la prochaine feuille de route de notre action partisane, nous comptons réhabiliter nos réseaux, notamment par le biais des associations et des organisations proches de notre cause. Elles ont toutes pour but l'éducation et l'aide aux jeunes, cela entre au cœur de notre future action». Dans cette guerre, le FLN n'est pas en reste. Des clubs répartis à travers le pays lui vouent une totale fidélité. Des cadres de l'actuelle direction de l'ex-parti unique ne cachent pas leur objectif : «Rallier comme jadis les scouts à notre cause, celle de la défense des valeurs de la nation comme lors de la guerre de Libération.»