A deux mois du Ramadhan, les rumeurs autour de la viande congelée importée d'Inde reviennent. Conditions sanitaires, certificat halal, traçabilité... Elle est vendue moins chère mais peut-on en manger sans risques pour la santé ? El Watan Week-end a enquêté en Algérie et en Inde. -L'Algérie est obligée d'importer de la viande congelée Vrai. «Notre pays est caractérisé par un climat semi-aride, il en résulte que l'aliment fait parfois défaut au bétail, à cause de la pluviométrie, explique le docteurr Ali Abda, sous-directeur du contrôle sanitaire et de l'hygiène alimentaire. Lorsque la pluviométrie est bonne, l'importation de la viande bovine congelée est moindre. L'importation est donc décidée pour répondre à la demande et compléter l'offre. Et contrairement à l'élevage ovin, l'Algérie manque d'experts et de connaisseurs dans l'élevage bovin.» Cependant, selon un éleveur, l'argument climatique n'est pas suffisant. «Le ministère avance toujours l'argument financier pour dire que la viande importée coûte moins cher que le bœuf élevé et tué en Algérie.» Finalement, tout est question de politique : l'Algérie ne veut pas réellement développer cette filière d'élevage. Ce que réclame l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) : investir les 300 millions de dollars injectés dans l'importation de la viande pour aider les producteurs. Résultat : le kilo de viande congelée en provenance d'Inde coûte entre 400 et 500 DA le kilo contre environ 900 DA chez le boucher du coin. Pourtant, certains experts avancent même que l'Algérie pourrait être exportatrice de viande. -La viande d'Inde est la moins chère Faux. Moins chère que la viande locale. «Oui, même si pour l'Etat, elle revient plus cher car les analyses, les contrôles, le transport… alourdissent la facture», explique le Dr Ali Abda. Moins chère aussi que la viande que l'Algérie importait du Brésil ou d'autres pays d'Amérique du Sud. Mais comparée au bœuf soudanais, sa sœur indienne est plus chère. «A l'achat, elle coûte 170 DA le kilo, témoigne un importateur. Au Soudan, elle ne coûte que 110/120 DA !» -Ce n'est pas du bœuf mais du buffle Vrai. Une espèce de bovidé. Mais en termes vétérinaires, il n'y a aucune différence avec celle que l'on consomme localement. -Elle est forcément saine, parce que contrôlée Faux. «Le problème, c'est qu'on importe de grandes pièces de viande, explique le Dr Ahmed Benchicou, docteur en cryogénie. Et tout le danger est là. Car lorsque le consommateur demande un morceau, le vendeur est obligé de couper la viande congelée avec des ustensiles ordinaires. Ce qui provoque un échauffement. Résultat : la température dépasse la norme et atteint entre 10° et 60°. Cette fourchette est considérée très critique par les experts en cryogénie, car c'est là que se développent les bactéries. Il faudrait alors que la viande arrive découpée en petits morceaux prêts à la consommation. Le problème se pose de manière plus aiguë avec la viande congelée hachée. Car hacher la viande congelée doit se faire avec des moyens cryogéniques. La viande congelée est de toute manière de moins bonne qualité que la fraîche Faux.«Il n'y a aucune différence entre la viande fraîche et la congelée», assurent les experts. Il faut seulement savoir la décongeler : à une température assez basse pendant un temps très long pour que les structures des muscles n'éclatent pas. Autrement dit, le mieux est de la mettre dans le frigidaire la veille. Quand elle est mal décongelée, le suc éclate et la viande sèche à la cuisson, ce qui donne une impression de mauvaise qualité. Les Algériens sont très sévères en termes de normes sanitaires Vrai. . Les négociations avec l'Inde ont duré… neuf ans ! «Il faut savoir que l'Algérie fait partie de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) à qui nous devons communiquer les moindres détails sur la santé animale, poursuit le spécialiste. Des conditions très sévères sur les questions d'hygiène et de respect de la santé animale sont imposées.» La viande importée doit passer par deux étapes. Elle doit d'abord répondre aux normes de l'Organisation mondiale de la santé animale. Une fois le dossier validé, une mission algérienne se rend sur place, en Inde. La conformité recherchée ne se limite pas seulement aux laboratoires et aux abattoirs. Les services vétérinaires officiels du pays exportateur doivent aussi rendre des comptes. «Puis nous inspectons en détail les problèmes sanitaires existants : est-ce qu'il y a des maladies animales ? Que fait le pays pour les éradiquer et avec quels moyens ? Quels vaccins utilise-t-on…, détaille Dr Ali Abda, sous-directeur du contrôle sanitaire et de l'hygiène alimentaire. Cette mission d'inspection est permanente. Il y a contrôle et vérification des abattoirs : comment le cheptel est-il introduit ? Quelles sont les conditions d'abattage et de désossage ? Comment est effectué l'emballage, la congélation puis l'exportation ?» L'Inde exporte aussi sa viande vers le Maroc, l'Indonésie, la Malaisie, le Yémen, l'Arabie Saoudite, la Jordanie et l'Egypte. En Inde, notre correspondante assure que les contrôles sont défaillants : «Il est impossible d'avoir une traçabilité réelle du produit, de sa provenance, du lieu, de l'élevage et de l'abattage de l'animal.» Les abattoirs de l'Inde répondent aux normes Doutes. Si on prend en compte la situation sanitaire et vétérinaire reconnue par OIE, 14 abattoirs ont été sélectionnés pour exporter vers l'Algérie et dans uniquement deux Etats : Uttar Pradash (partie nord du pays) et Maharashtra (partie ouest du pays). «Contrairement aux idées reçues, il y a des abattoirs aux normes, neufs, qui adoptent un système d'abattage identique aux pays développés et aux grand exportateurs de la viande, comme le Brésil, l'Australie et la Nouvelle-Zélande», assure le docteur. Reste une question : si les abattoirs sont conformes, pourquoi les Européens, les Russes et les Américains ne veulent-ils pas les agréer ? La viande d'Inde est vraiment halal Vrai. «On importe des deux Etats où sont concentrés les musulmans, affirme le docteur. L'opérateur respecte à la lettre le certificat du halal, délivré par Jamiath Ulama Al Hind, haute autorité islamique.» Notre correspondante en Inde, Nacéra Benali, précise tout de même qu'«il est impossible de distinguer les déclarations de complaisance des vraies». La chaîne du froid est contrôlée Vrai. «Chaque conteneur dispose d'un thermographe sellé à l'intérieur pour enregistrer la température pendant tout le voyage, explique le sous-directeur du contrôle sanitaire et de l'hygiène alimentaire. Si la rupture est constatée quand la viande arrive dans les ports algériens, la marchandise est systématiquement refusée. D'autres techniques sont également utilisées pour détecter s'il y a eu décongélation ou pas.» Mais c'est au niveau du stockage et de la commercialisation que les problèmes commencent. «Si une panne électrique perdure plus de 48 heures, consommer la viande présente un risque. Il ne faut pas que la température dépasse les -18°C pendant son transport terrestre. Par ignorance, les commerçants peuvent ne pas respecter les normes requises, reconnaît Ahmed Benchicou, docteur en cryogénie. Au niveau des distributeurs, la température arrive parfois à -14° et là, la viande doit être jetée. Problème : les autorités du commerce ont du mal à effectuer tous les contrôles nécessaires. Des vendeurs ne disposent ni de thermomètre ni de congélateurs aux normes… Ils ignorent jusqu'au positionnement de leur frigo ou la découpe de la viande. Il faut savoir également que certaines chambres froides négatives (-24°) ne sont pas construites selon les normes.»