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Le pouvoir doit être à l'écoute de la majorité silencieuse
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Publié dans El Watan le 31 - 05 - 2012

Originellement militaire pour des raisons historiques, le régime politique algérien s'est inexorablement hybridé avec l'avènement de la présidence Bouteflika.
Considérant la longévité séculaire des deux parties et leur hégémonie sur la vie politique de mon pays, il devenait naturellement difficile au peuple algérien d'espérer une nouvelle vision de la politique, voire l'instauration pure et simple de la démocratie politique. L'addiction à la politique est pire que celle à l'alcool ou au tabac et les exemples des dictatures arabes sont nombreux pour l'attester. C'est dire que le régime politique a mis tout son poids et a actionné tous ses réseaux institutionnels et autres pour corseter ces élections législatives dans l'optique d'assurer sa survivance, voire sa pérennité. Nous examinerons, à cet effet, deux faits marquants : d'une part, l'injection indirecte du président Bouteflika dans le jeu électoral, et l'agrément brusque et brutal de 21 nouveaux partis politiques, depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi organique relative aux partis politiques en février 2012.
L'apport considérable du chef de l'Etat est édifiant. Depuis son investiture à la présidence du pays en 1999, l'on voit pour la première fois le Président, qui s'est toujours revendiqué non partisan, s'impliquer implicitement dans le jeu électoral en comparant ces joutes du 10 mai 2012 à l'historique1er Novembre 1954 lors de son discours d'Arzew. Ce que l'on pourrait traduire politiquement par le «Allez voter, il y a péril en la demeure Algérie» et «Rappelez-vous que c'est le FLN qui a déclenché le 1er Novembre 1954».Notre sentiment est que ce n'est pas le pays qui est menacé, mais c'est beaucoup plus le régime politique qui est aux abois. Le choix de Sétif, 2e plus grande agglomération après Alger, en plein 8 mai 2012, n'est pas fortuit. Le chef de l'Etat en fin manœuvrier et harangueur de foules reconnu aurait fait croire par le fameux«tabjnana» que l'ère de la légitimité révolutionnaire était révolue et que les jeunes doivent s'inviter aux responsabilités du pays. Semant ainsi l'incertitude et le doute quant à l'avenir du pays, ce qui inciterait au vote massif traditionnel et sécuritaire. Par contre, en lançant la sentence «Mon appartenance politique est claire», l'on pourrait comprendre que le chef de l'Etat délivrait indirectement la consigne de vote FLN.
Par ailleurs, en agréant 21 nouveaux partis politiques à la veille des élections et en lançant en compétition électorales 44 partis politiques, le régime politique voulait démontrer au commun des Algériens que l'activité politique est un domaine réservé à lui et à ses propres «élus» (FLN-RND). Il y a lieu de préciser que la prolifération des partis politiques sert à diluer, voire affaiblir les idées politiques et donc empêcher l'émergence de forces d'opposition au pouvoir. Hormis les «élus» du pouvoir (FLN-RND) et à un degré moindre le FFS, le PT et la coalition des islamistes, les 39 partis restants sont de simples figurines au sein desquels se trouvent des partis politiques-éprouvettes (21 nouvellement agréés). La campagne électorale et les résultats du suffrage ont clairement prouvé l'incapacité de ces partis à capter les aspirations populaires, le pouvaient-ils ?
Parmi les visées du pouvoir politique, l'on a pu observer la mise en veilleuse des islamistes, histoire d'être à contre-courant du printemps arabe et en même temps signifier la spécificité algérienne, l'obtention de la majorité par ses propres «élus» (FLN-RND) afin de faire main basse sur les grandes décisions du pays, notamment la prochaine Constitution, et enfin la redistribution des rapports de force au sein même du régime où l'on constate que le chef de l'Etat en est le principal bénéficiaire. Quant à l'élection présidentielle de 2014, l'on susurre que le président Bouteflika prépare soigneusement sa succession et qu'il «lorgnerait» le secrétaire général du FLN, «grand gagnant du scrutin». Il faut savoir que dans un système non démocratique, il n'y a pas lieu de s'étonner que le président «sortant» soit partie prenante dans le choix de sa succession, car il ne peut léguer ce qui lui a appartenu de droit sans un droit de regard sécurisant.
En outre, prétendre que le Président aurait fait son choix sur le secrétaire général du FLN paraît peu probable. Il s'agit de la fonction suprême d'un grand pays stratégique du Maghreb et surtout du devenir des générations présentes et futures. Présider à la destinée du pays devrait répondre à un certain nombre de caractéristiques : un background politique bien étoffé avec des faits d'armes politiques majeurs, poids politique imposant, un esprit républicain et rassembleur, une compétence intellectuelle avérée, une meilleure connaissance des dossiers socio-économiques du pays, une personnalité consensuelle au sein de sa propre appartenance et en-dehors, beaucoup de charisme et d'envergure nationale et internationale.
Le FLN, ce géant aux pieds d'argile : «Nous sommes la 1re force politique du pays», «C'est la victoire de Dieu et du peuple». Ce sont les déclarations du secrétaire général du FLN après la «victoire». Pourtant, il n'y a pas de quoi pavoiser. Le FLN bis, après l'illustre FLN historique, n'a jamais été un parti politique au sens propre du mot. Il s'est de tout temps comporté comme un appareil de propagande du pouvoir politique réel et a instrumentalisé à fond son père spirituel. Le parti unique au pouvoir dès l'indépendance s'est distingué par son bilan politique, économique et social des plus désastreux, à l'origine des événements d'octobre 1988 et du vote sanction de 1991. Nous citerons quelques caractéristiques et événements inhérents au fonctionnement de ce parti, il est évident qu'en son sein existe et a existé une minorité de militants sincères.
Du défunt Messaâdia jusqu'au secrétaire général actuel, la notion du militantisme politique, c'est-à-dire militer pour des idées ou un programme politique, a été galvaudée et remplacée par l'allégeance au pouvoir réel, à la force et à l'argent. Plus nationaliste que le FLNiste, tu meurs ! Ce sont des ultra patriotes, pas dans leurs actes, leurs comportements ou leur possession de biens, mais surtout dans la parole où le 1er Novembre 54 foisonne à outrance dans leurs discours. Ils sont animés non pas du bien-être général, mais du partage de la rente et de la course aux intérêts et privilèges qu'offrent les méandres du pouvoir. La succession des secrétaires généraux a de tout temps était bruyante, voire violente, pour ne pas dire antidémocratique. Ils ont même inventé le coup d'Etat scientifique, hérité en réalité du fameux «redressement révolutionnaire» du 19 juin 1965. Parce que si l'on essaye de prendre son autonomie et défendre ses idées, l'on est d'abord broyé par ses propres partisans faisant fonction de vassaux du pouvoir, ensuite disgracié par le pouvoir lui-même. Feu Mehri, à qui nous rendons ici un vibrant hommage, en a fait les frais.
De même, Ali Benflis, qui a rajeuni le parti, a commis l'irréparable en se mesurant au pouvoir réel et a donc précipité sa chute.
Certes, le FLN favorisé par le mode de scrutin, a obtenu 221 sièges, à peu près la majorité. Mais force est de constater que la popularité d'un parti politique qui se respecte se mesure au nombre de suffrages obtenus, c'est-à-dire au nombre de voix des électeurs. Comment se fait-il qu'un parti âgé de 50 ans (qui n'a toujours pas mûri), agissant dans un désert politique et qui dispose de structures partisanes «ubiquitaires» à l'échelle des 48 wilayas, de subventions colossales et de moyens considérables de l'Etat, ne pèse que 1 324 363 de voix sur les21 645 841 électeurs inscrits ? Cela représente seulement 6,11% des voix des électeurs. C'est dire un «grand parti» minoritaire en société et aux aspirations populaires. Si l'on scrute son score dans les 3 premières agglomérations du pays, l'on constate qu'à Alger, il pèse 80 000 voix sur 1 811 710 inscrits, ce qui représente 4,5% des voix des électeurs.
A Oran, il obtient 28 510 voix sur les 1 004 732 inscrits, ce qui représente 2,8% des voix des électeurs oranais. N'était le renfort présidentiel, son taux national serait largement au-dessous des 6%, un «poids plume» politique. Même en s'alliant avec le RND et l'alliance verte, ils ne pèseront que 10%. Ce qu'a compris le secrétaire général du FLN, en déclarant que la Constitution du futur gouvernement est du seul ressort du chef de l'Etat, même si l'on connaît la nature du régime politique qui est présidentiel. In fine, le FLN, en l'absence d'une assise populaire réelle, n'est pas représentatif, il ne peut de ce fait se revendiquer comme force politique du pays ou s'exprimer au nom du peuple algérien. Il ne sert que de carapace à ses tuteurs naturels et de strapontin aux opportunistes de tous bords.
La résistance citoyenne quiescente
Cette catégorie représente les deux tiers de la population, soit 64,76%. Elle est composée de ceux qui se sont abstenus, et ils sont nombreux, plus de 14 millions d'Algériens et ceux qui ont déposé un bulletin nul, environ 1,7 million de votants. L'on remarque que seulement 6,7 millions d'Algériens ont adhéré au vote, ce sont les plus de 50 ans, partisans du vote traditionnel, et probablement les jeunes de 18-25 ans qui ont vécu la décennie noire et accompagné les réalisations du chef de l'Etat. Ce décalage entre abstentionnistes et votants est largement significatif et est corrélé à la configuration géographique du pays et d'autres considérations. En effet, l'on relève des disparités dans le taux de participation entre les wilayas du Nord et celles du Sud, à l'exception près (taux de participation entre 50-83%).
La Kabylie se taille la part du lion avec les plus forts taux d'abstention (Tizi Ouzou 80%, Béjaïa 75%, Bouira 66%) et conserve son statut de région frondeuse par excellence. Viennent ensuite Alger (69%), Boumerdès (66%), Batna (61%), Constantine (60%), Chlef (59,1%), Djelfa (59%), El Oued (58,26%), Aïn Defla (57,37%), Mila (56,42%), Oran (55,82%), Relizane (55,28%) et Ouargla (54,59%). Fait nouveau, d'autres wilayas même du Sud (Djelfa, El Oued, Ouargla) ont rejoint les wilayas réputées plus ou moins politisées et protestataires. Tout cela nous permet d'extrapoler et de dire que les 14 millions d'abstentionnistes figureraient en forte proportion dans les tranches d'âge 35-45 ans et 50 ans et plus. Ceux appartenant à la première tranche ont connu les événements d'octobre 1988 et la décennie noire ainsi que le chômage et le pré-emploi via le filet social. La deuxième tranche d'âge, beaucoup plus la génération d'après l'indépendance (âge : 50 ans) plus ou moins bien instruite et qui a suffisamment de recul avec le régime politique, semble plus encline à la politique et qui a longtemps était contestataire (mouvement estudiantin 1970, l'avènement des syndicats autonomes 1980).
Il est indéniable que parmi les abstentionnistes, il y a ceux qui sont indifférents à la politique (faible proportion). L'on constate enfin que l'abstention a pris des proportions alarmantes et s'est généralisée à travers le pays, ce qui témoigne d'une prise de conscience des populations à la chose publique, c'est dire qu'ils ne font plus confiance aux gouvernants. Les nouvelles chaînes de TV : Echourouk et El Maghribia ont montré le degré de maturité des jeunes, de même le vide que ce sont fait autour d'eux les partis politiques durant la campagne électorale est sans appel. D'où l'intérêt du pouvoir politique d'être à l'écoute de cette majorité silencieuse mais résistante, car non seulement elle constitue un baromètre de la vie politique du pays mais surtout c'est une force imprévisible. Les forces démocratiques en perte de vitesse devraient se rabibocher et ont tout intérêt à canaliser et rassembler cette résistance dormante pour amorcer sereinement la démocratisation du pays. La démocratie s'édifie par ceux qui croient en leur pays et en ce système prédominant dans les pays développés.


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