Il n'y a pas longtemps, les Algériens connus ou simples anonymes qui tombaient sous les balles assassines du terrorisme étaient affublés du statut de « martyr de la démocratie » dans les discours officiels. C'est grâce au tribut du sang versé par tous les Algériens, chacun à son niveau, pour faire échec au projet intégriste, que l'opinion internationale a été sensibilisée sur les véritables desseins qui se cachaient derrière ce projet de société placé aujourd'hui au ban de l'humanité tout entière. Autre temps autres mœurs : toutes ces personnes assassinées froidement à la faveur d'attentats individuels ou de massacres collectifs (y a-t-il donc un assassinat plus condamnable qu'un autre ?) sont devenues, par la grâce des textes de loi sur la réconciliation nationale, des victimes de la tragédie nationale. Sans gloire ni reconnaissance de l'Algérie officielle, du moins pour la mémoire de ceux que l'on qualifiait auparavant avec une pensée émue de bras séculiers qui ont permis à l'Algérie dans les années de feu de rester debout. Quelle est donc cette culture politique que l'on cherche à inculquer à nos enfants et qui consiste à verser dans une forme de révisionnisme, voire de négationnisme de cette page douloureuse du pays ? Ces événements auraient gagné à être préservés dans leur authenticité pour faire prendre conscience aux générations futures des drames, avec leur lot de cruautés, qui ont affecté le pays au cours de la décennie rouge ; drames que l'on doit avoir le courage politique et moral d'assumer. L'histoire des nations est ainsi faite de déchirures, de meurtrissures, de violences internes entre les composantes d'une même société. Ce n'est pas un roman linéaire où le héros est toujours dépeint sous des traits positifs qui confinent à la démagogie et au nombrilisme douteux. Une nation qui n'immortalise pas ses héros d'hier et d'aujourd'hui, qui se construit sur de faux compromis ne peut pas avoir d'avenir. Amalgame Quand bien même on le voudrait, on ne peut pas décemment effacer d'un trait de plume l'histoire d'un peuple au nom de principes fussent-ils aussi généreux que la réconciliation nationale ! Tel que le dossier a été géré, ce sont toutes ces valeurs sacrées de patriotisme, de fraternité pour lesquelles nos valeureux chouhada et tous les moudjahidine se sont hier sacrifiés qui perdent tout leur sens avec l'amalgame qui est fait aujourd'hui quant à la qualification des événements et des acteurs qui ont marqué cette période sanglante de l'histoire de notre pays. Alors que dans les pays qui avancent le moindre acte de bravoure, de courage, de sacrifice citoyen pour sauver une vie humaine, voire même animale vaut à son auteur médaille et reconnaissance de la collectivité, chez nous il faudra désormais faire avec cette nouvelle devise. Au slogan de la Révolution, « un seul héros, le peuple » qui a permis de mobiliser toute une nation pour se libérer du joug colonial, on voudrait lui substituer aujourd'hui celui, moins glorieux, qui ferait du peuple algérien un peuple sans passé... sans « histoires » et sans héros. De quelle manière s'y prendra-t-on demain pour enseigner dans les écoles à nos enfants quelles sont les forces patriotiques qui ont permis à l'Algérie de vaincre le terrorisme ? Invités à travailler sur un patrimoine insaisissable, édulcoré, vidé de sa substance historique, les pédagogues et les historiens auront du mal à trouver leur marque. En ces temps où la culture de l'oubli est érigée en modèle de société et en gage de la paix sociale retrouvée, il ne faudra s'attendre ni à ce que des stèles officielles soient érigées à la mémoire de certains martyrs-symboles, ni à des cérémonies commémoratives officielles. D'ailleurs, les rares célébrations qui ont lieu se font dans la discrétion la plus totale et à l'initiative des familles proches et d'amis des victimes du terrorisme. Morts sous X : ne devrait-on pas inscrire cette épitaphe sur toutes les tombes des victimes du terrorisme pour être dans l'air du temps ?