N'était l'appel poignant lancé au forum du journal El Moudjahid par le frère du chahid le colonel M'hamed Bouguerra, chef de la Wilaya IV historique, aux autorités algériennes leur demandant d'intervenir auprès des autorités françaises pour localiser l'endroit où fut tombé au champ d'honneur le héros de la révolution algérienne, peu d'Algériens connaissaient cette réalité tragique de l'histoire. Aujourd'hui encore, au hasard d'une pelleteuse en action, des charniers sont découverts ici et là. Des cérémonies de ré-inhumation des restes des martyrs trouvés sont organisées par l'Organisation des moudjahidine sans que les familles puissent enfin être soulagées de ce lourd poids de ne pas avoir le corps de leur chahid pour pouvoir enfin faire leur deuil. Car en l'absence de tests ADN, il est impossible d'identifier un corps. L'ONM estime par ce geste officiel avoir honoré sa dette envers les martyrs et l'histoire, en faisant entrer d'anonymes martyrs aux Carrés des martyrs de la Révolution qui n'ouvrent leurs portes qu'en des occasions officielles. Faute d'avoir les sépultures de leurs martyrs identifiés qu'ils pourront fleurir et visiter, loin de tout protocole, les familles se contentent de cette unique consolation de savoir que leurs martyrs ne sont pas enfouis quelque part au fond d'un lit d'oued asséché, livrés aux prédateurs, mais reposent en paix dans un lieu symbolique auquel les citoyens vouent un respect et un culte qui dépasse le cadre des croyances religieuses. Il est vrai que, matériellement, il est difficile d'effectuer des tests scientifiques aux fins d'identification des corps retrouvés dans un pays qui a payé un aussi lourd tribut : un million et demi de martyrs, dont beaucoup sont jusqu'à ce jour portés disparus. Mais cette contrainte ne dédouane pas pour autant la responsabilité de l'Etat qui ne semble pas accorder l'intérêt requis pour honorer la mémoire de nos martyrs, connus ou simples anonymes sur les corps desquels on a fait passer peut-être une route, ou construit sans le savoir un projet. Les pouvoirs publics ont mis plusieurs années pour rapatrier le corps du fondateur de l'Etat algérien, l'Emir Abdelkader, d'un pays pourtant considéré comme ami. D'autres martyrs de la Révolution, tels que les colonels Amirouche et Si Haouès, Larbi Ben M'hidi... D'autres encore, pour lesquels on tresse dans le discours officiel des lauriers lors des dates anniversaires de la Révolution algérienne, n'ont pas eu les faveurs de reposer au Carré des martyrs d'El Alia. Leurs familles ne cessent d'interpeller les autorités algériennes, comme l'a fait le frère du colonel Bouguerra, pour faire la lumière sur la disparition mystérieuse de leurs dépouilles. Le fait que l'Etat algérien ne montre pas d'excitation particulière pour organiser des funérailles officielles à ces héros de la Révolution et à d'autres en retrouvant leurs corps avec le concours des autorités françaises qui disposent de toutes les informations sur ces dossiers suscite, au sein de l'opinion, des interrogations et donne lieu à des lectures politiques sur l'engagement véritable de l'Etat dans la réhabilitation de la mémoire. Il est pour le moins curieux que cette revendication n'ait jamais été inscrite à l'ordre du jour des discussions sur le contentieux historique opposant l'Algérie à la France ! Cette position d'arrière-garde a poussé certains milieux politiques, dont le RCD, à s'en remettre aux instances internationales pour leur demander de faire la lumière sur ces dossiers de l'histoire que les autorités algériennes n'osent pas ouvrir près d'un demi-siècle après l'indépendance.