A peine installé comme ministre de la Communication, Nacer Mehal avait annoncé de grands changements structurels et d'orientation pour la Télévision nationale. Il promettait surtout que le petit écran national allait s'ouvrir véritablement sur la société algérienne et sa vie citoyenne après avoir été longtemps un instrument de propagande au service exclusif du Pouvoir en place. Le ministre, en fait, avait annoncé la couleur en laissant entendre que sous son autorité, la télé allait en finir avec la médiocrité et la censure bête et stupide pour devenir, à moyen terme, un organe médiatique professionnel, où l'expression plurielle et contradictoire sera une réalité. Deux ans après, que reste-t-il de ces projections pour le moins très ambitieuses mais qui ressemblaient davantage à des défis utopiques lorsqu'on connaît la nature du système et l'environnement très particulier dans lequel évolue une institution comme la Télévision nationale dont l'assujettissement politique et idéologique au Sérail a toujours été prioritaire par rapport à sa fonction sociale ? A l'heure où le bilan des réformes engagées par Bouteflika pour démocratiser la gouvernance du pays à travers notamment ses institutions et son administration ne prête guère à l'optimisme, d'aucuns ne trouveront aucune difficulté à relever que les belles intentions du ministre sont demeurées en l'état, bien malgré lui. En voulant marquer son passage, l'ancien DG de l'APS n'a fait que tirer des plans sur la comète en dépit des projets de transformation du paysage audiovisuel qui lui tenaient à cœur, mais qui n'ont jamais fait l'unanimité au niveau des sphères dirigeantes. Nacer voulait une télé plus transparente, une télé qui parle directement aux Algériens et qui leur dit tout dans un langage de vérité. L'Unique, plus conservatrice que jamais, a préféré demeurer sur l'ancien registre. Fermée sur elle-même, elle rejette la prise de risque en continuant de privilégier la langue de bois pour éviter d'écorcher les sensibilités des «décideurs» à l'affût de la moindre discordance d'idée ou de pensée qui pourrait les mettre en porte-à-faux vis-à-vis de la société. Le ministre avait ciblé la tranche la plus délicate du programme pour montrer que les choses bougent du côté du Boulevard des Martyrs, en l'occurrence les émissions consacrées au débat politique pour affiner les divergences d'opinions qui existent dans notre pays et instaurer par la même une culture politique du respect de l'autre, non pas par la violence des mots mais par l'échange d'arguments et la force de conviction, mais ce choix, s'il a réellement fait illusion durant quelques émissions qui ont meublé les soirées pré-électorales, est vite retombé dans l'obsolescence d'une pratique routinière qui a fini par lasser. A part vouloir démontrer que leurs jardins sont les mieux fleuris et que tout le reste n'est que casserole trouée, les hommes — et les femmes — politiques algériens n'ont pas grand-chose à dire quand ils sont face au public, ou peut-être ne savent-ils pas comment l'exprimer devant la caméra. Les débats ou rencontres politiques (si on peut les appeler ainsi) qui ont été mis en prime time durant cette période des législatives n'ont jamais atteint des sommets de confrontation politique d'utilité publique en raison soit du manque flagrant d'expérience des débatteurs, soit de la pauvreté évidente de leurs argumentations, ce qui, dans l'ensemble, a eu pour effet de discréditer assez rapidement l'expérience du débat politique en direct destiné au départ à éclairer la lanterne des téléspectateurs, mais qui dans bien des cas se transforma en une horrible cacophonie. Pour de nombreux téléspectateurs en tout cas, la réaction a été de dire que «si c'est ça le niveau de la pratique politique qui aspire à apporter le changement, autant avouer que les algériens ne sont pas encore sortis de l'auberge… » Cependant, si là encore le ministre de la communication espérait professionnaliser notamment la tendance journalistique pour relever la cote du débat politique, c'est lui en premier qui a dû revenir à la réalité en constatant qu'à la télé algérienne, quels que soient les efforts et les moyens mis en œuvre, l'amateurisme dominant a la peau dure. Et il n'est pas le seul, car le nouveau DG appelé à la rescousse pour bousculer un peu les habitudes a lui aussi été dans l'obligation de ravaler la ferveur avec laquelle il s'était annoncé pour rassurer les gens du sérail qui l'ont investi de cette lourde responsabilité, et qui devait nous prouver qu'avec lui l'indigence qui a été jusque-là le foyer nourricier de l'Unique (et sa principale source de critique), ne sera qu'un mauvais souvenir. Il est plus récent au poste, mais depuis son arrivée diront les observateurs avertis, la télé est en train de revenir dangereusement sur les infimes parcelles de liberté qu'elle a gagnées. Autrement dit, non seulement elle n'a fait aucun progrès pour stopper le phénomène de la censure, mais elle recule dans l'action de service public en matière d'information et de communication. On cite un exemple encore tout frais : Ouyahia, le Premier ministre en charge de coordonner le programme du président de la République, s'est fendu dans une déclaration fracassante dans laquelle il avoue «l'échec du gouvernement», et ce gros pavé dans la mare laisse totalement indifférent le service politique de notre télé. Sous d'autres cieux, là où le respect du droit à l'information du citoyen est respecté à la lettre, une telle info n'est jamais banalisée. Chez nous, on la passe sous silence, aucun commentaire, aucune analyse… c'est le mépris total. Et c'est tout le temps le même scénario, l'info qui sort des sentiers battus de la propagande pro-pouvoir n'a pas de place. C'est cette télé donc que la paire Mehal-Kheladi veut pour les algériens. Certainement pas, la réalité du système est plus forte que les ambitions les plus sincères. Hélas… trois fois hélas !