La Télévision nationale peut-elle assurer véritablement une mission de service public ? C'est cette question fondamentale qui est aujourd'hui au centre d'un débat politico-intellectuel qui ne date pas d'hier et que le ministre de la Communication, à la faveur d'une violente critique contre le travail médiatique qui se fait au niveau du boulevard des Martyrs, remet subitement au goût du jour alors que le commun des Algériens s'est habitué à une médiocrité télévisuelle, notamment par son JT qui semble indécrottable, formaté durant de longues années dans la langue de bois et le refus systématique d'apporter toute contradiction au discours officiel. «Il faut que la télé soit plus professionnelle !», a martelé Nacer Mehal qui, pour une fois que cela arrive à un représentant de l'Etat, a reconnu que l'Unique est très loin des attentes de ses téléspectateurs en raison particulièrement de ses faiblesses journalistiques. Le pouvoir reconnaît aujourd'hui que la télévision, qu'il a lui-même façonnée, ne joue plus le rôle qui convient dans une société en changement et, moins explicitement avoué, qui n'arrive pas, à cause de ses tares bureaucratiques et des pressions politiques qui pèsent sur elle, à avoir une once de crédibilité pour faire face à une concurrence impitoyable dans un paysage médiatique nettement plus performant et donc plus influent. Ce n'est pas par coquetterie ni par hasard que des milliers d'Algériens désertent leur petit écran pour aller se réfugier ailleurs, là où on informe comme il faut et où on divertit quand il le faut. Si les chaînes de télévision étrangères arrivent à capter, sans trop se fatiguer, une énorme part de l'audimat algérien, c'est forcément que chez nous, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Dans le monde, les patrons de télévision privés ou étatiques font des pieds et des mains, redoublent d'imagination, ne restent jamais à court d'idées pour retenir leur public, la matière la plus précieuse en fait qui donne à l'activité télévisuelle sa raison d'être, tandis qu'en Algérie, on a l'impression que tout est entrepris pour obtenir l'effet inverse. En l'absence d'un retour d'écoute, l'Unique, en se complaisant dans un programme informatif d'un autre âge, semble complètement s'en ficher de la perte drastique d'audience à partir du moment où son credo reste d'exister pour elle-même. A sa décharge, le fait que le pouvoir a toujours pensé à sa place, ne lui laissant que des miettes pour sa survie. Cette télévision, que le ministre veut aujourd'hui secouer, a vécu en autarcie dans un monde virtuel et ne paraît par conséquent pas préparée pour franchir sans dégât le cap, passant d'un système verrouillé à un autre, plus souple, dans lequel le travail journalistique peut respirer à la lumière d'une liberté de ton retrouvée qui ne plaira pas à tout le monde. C'est quoi – pour revenir à la recommandation du ministre qui, en réalité, serait parvenue du Président de la République en personne – une mission de service public sinon une responsabilité médiatique qui répercute davantage les préoccupations des citoyens au lieu de jouer, sans trop de gloire, les charmeurs au profit d'une frange de dirigeants qui adorent se voir dans un miroir et qui, de toute façon, sont payés pour faire leur travail ? Lorsque la caméra de l'Unique s'attarde sur une conférence évasive de Belkhadem et oublie de montrer la détresse d'un citoyen frappé d'une flagrante injustice, par exemple, elle s'écarte elle-même de cette responsabilité pour devenir un instrument de propagande à la solde des puissants. Les Algériens ne détestent pas leur télé, mais ils comprennent vite que celle-ci ne leur appartient pas parce qu'ils ne se reconnaissent pas en elle. Comment donc franchir aujourd'hui le Rubicon, autrement dit lui demander de changer d'orientation, alors que tout la ramène à ses vieux réflexes ? Tant que la télé nationale continue de privilégier l'information officielle sur l'actualité, comme par exemple ouvrir le JT avec les audiences de Bouteflika alors que ça chauffe du côté du complexe sidérurgique d'Arcelor, on désespère de croire qu'il y aura un vrai changement dans cette boîte. Nacer Mehal, dont on ne met pas en doute sa volonté de relancer le travail journalistique sur des bases plus professionnelles, ne doit pas s'arrêter aux seules intentions, aussi généreuses soient-elles. La première des choses à faire, pour frapper les esprits et montrer qu'on peut révolutionner une entreprise imbue de son conservatisme, c'est de faire apparaître des éléments nouveaux dans le circuit informationnel. Les présentateurs actuels du 20 heures, pour ne citer que ceux-là, symbolisent trop la télé de la pensée unique pour prétendre refaire avec eux le chemin inverse. Dans le changement, il y a, ne l'oublions pas, le fond mais aussi la forme….