Ainsi donc, après une docilité à toute épreuve et de loyaux services, le patron de la Télévision nationale vient d'être dégommé par le Pouvoir. Aucune raison de cette éviction aussi subite qu'inattendue n'a été officiellement avancée, mais dans les milieux de l'audiovisuel, d'aucuns soupçonnent que c'est sa trop grande «inertie» devant les événements majeurs que vit le pays qui lui a coûté sa place. Sous sa responsabilité, l'Unique, il faut le dire, n'est jamais parvenue à se hisser à un niveau de crédibilité et d'audience honorables malgré l'importance des moyens financiers mis à sa disposition. Si politiquement il ne répondait certainement plus à ce qu'attendaient de lui les invisibles du sérail dans une conjoncture qui exige plus de doigté pour vulgariser les messages dont a besoin le système pour survivre, force est de reconnaître que c'est dans la conception et la maîtrise des programmes destinés à la grande masse, à l'image des émissions consacrées au divertissement ou à l'éducation culturelle et politique des téléspectateurs, qu'il a dans une large mesure failli. A sa décharge, la boîte qu'il dirigeait a un statut particulier, ne ressemble à aucune société étatique où les règles et les principes de direction sont transparents. C'est pourquoi, homme plutôt discret, passant presque pour un marginal, n'aimant pas le contact direct avec le public, a fortiori avec les médias qu'il refusait d'affronter, Abdelkader Lalmi a depuis son installation à la tête de cette institution, il y a quatre ans, passé le plus clair de son temps à jouer au funambule pour empêcher le bateau de prendre eau de toutes parts, au lieu de mobiliser pleinement les compétences à sa disposition pour le développement et la modernisation du media le plus mythique du pays. Contrairement à son prédécesseur HHC qui n'hésitait pas à imposer son style caractérisé souvent par une outrance dans la prise de décision, privilégiant davantage le clinquant au concret, le désormais ex-directeur général de l'ENTV appliquait la méthode peu orthodoxe du laisser-venir avant de réagir, sauf qu'en de multiples cas les problèmes s'accumulent, enflent et finissent par devenir ingérables, comme ceux provoqués par les producteurs privés et qui lui sont souvent restés en travers de la gorge. En prônant une politique de rigueur qu'il voulait salutaire pour éviter que les effets de la spéculation et de la corruption ne gangrènent l'Entreprise, Lalmi a fini, à force d'être confronté à des résistances de la part d'un lobby omniprésent qui manipule autant que faire se peut le système en place pour garantir ses intérêts, par comprendre que derrière la vitrine les enjeux mis sur la balance ne sont pas toujours ceux qu'on prétend vouloir défendre. Sa désillusion est aujourd'hui grande face à l'ingratitude d'un Pouvoir au jeu double évident, qui ne semble s'embarrasser d'aucun scrupule pour instrumentaliser comme il l'entend et selon les conjonctures, à travers les responsables qu'il choisit, un organe de communication stratégique qui devient encore plus précieux en cette période pré-électorale. C'est assurément le ministre de la Communication qui doit être parmi les plus soulagés de voir un tel DG devenu encombrant quitter la scène après l'avoir désavoué publiquement à plusieurs reprises. Nacer Mehal, sitôt nommé au poste, s'est tout de suite braqué sur le patron de la télé. En critiquant vertement les programmes du Ramadhan qu'il trouvait nuls, alors que cette nullité ne datait pas d'hier, le ministre avait fixé aux yeux des téléspectateurs déjà forts conditionnés par la mauvaise qualité du produit télévisuel national, le parfait bouc émissaire pour se donner bonne conscience devant l'opinion publique. Voilà donc un ministre qui ne fait pas dans la langue de bois pour situer le niveau lamentable atteint par notre télévision, aurait-il aimé entendre dire à propos de ses attaques répétées contre Lalmi, surtout qu'il est allé jusqu'à demander pardon aux téléspectateurs pour l'inconsistance des émissions ramadanesques, une première dans les annales de la fonction ministérielle, sauf qu'au-delà de cette intrépide intervention du premier responsable de la Communication dans notre pays, il y a sûrement des effets pervers d'une injonction téléguidée difficile à décrypter. Mehal veut donner l'impression de remettre la télévision nationale sur une autre orbite, celle qui en ferait un média dynamique au service des Algériens et de leurs aspirations démocratiques, alors que fondamentalement tout le monde sait que cet organe échappe totalement à ses prérogatives et ses compétences. Le ministre est ainsi lui-même pris au piège de l'instrumentalisation d'une opération politique qui fait de lui un simple exécuteur de tâche dans un cadre décisionnel où le centre névralgique se situe ailleurs. Qu'il s'agisse de la loi sur l'information, ou celle ayant trait à l'ouverture du champ de l'audiovisuel, c'est la volonté et les calculs politiques du gouvernement, lui-même prenant ses consignes à El Mouradia, qui priment. Et tant que le Pouvoir, à travers ses dirigeants visibles et invisibles, ne manifeste aucune velléité de changement du contenu de la télé, les gesticulations médiatiques des uns et des autres ne resteront que de la poudre aux yeux. Cela dit, c'est dans un contexte chargé de suspicions que le nouveau DG, ex-patron de la radio, arrive au petit écran. Il va encore nous dire qu'il est là pour relancer la machine, régler les problèmes en suspens, et redorer l'image d'une télé qui a sombré dans les profondeurs de la médiocrité. Tewfik Kheladi, dont évidemment ce sera une promotion inespérée, lui qui a grillé les étapes avant d'accéder à ce type de responsabilité qui apparaît très ample pour lui, sera-t-il cet homme providentiel pour dégripper la mécanique ? Rien n'est moins sûr, d'autant que dans le milieu journalistique d'où il est issu il est considéré, à juste raison d'ailleurs, comme un élément du système qui a pour mission de se plier avant tout aux contingences dictées par ce dernier. De plus, en venant précédé de la triste réputation du responsable qui a rendu le discours islamiste encore plus envahissant à la radio, on se demande comment il pourrait éviter cela à la télévision où le phénomène est en réseau dormant. En tirant sa révérence, le général Mohamed Lamari a laissé cette phrase culte : «Nous avons vaincu le terrorisme, mais l'intégrisme est toujours là. Vous n'avez qu'à regarder la télé…» Nous souhaitons bien du plaisir au nouveau DG.