Est puni d'un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d'une amende de 250 000 DA à 500 000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d'office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double », stipule l'article 46 de l'ordonnance présidentielle d'application de la charte pour la paix et la réconciliation. Cette disposition est-elle compatible avec l'article 36 de la Constitution qui précise que « la liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables » ? La loi fondamentale garantit notamment les libertés d'expression, d'association et de réunion dans l'article 41. « Les libertés fondamentales et les droits de l'homme et du citoyen sont garantis. Ils constituent le patrimoine commun de tous les Algériens et Algériennes, qu'ils ont le devoir de transmettre de génération en génération pour le conserver dans son intégrité et son inviolabilité », lit-on dans l'article 32. La démarche aboutissant au ton menaçant de l'article 46 de l'ordonnance avait structuré tout le processus de gestation des décrets d'application. A l'annonce de son projet de charte, le 14 août 2005, dans un discours aux cadres de l'Etat au Palais des nations, le président de la République a conclu, condamnant a priori ses contradicteurs en les qualifiant d'opposants à « notre désir profond de paix, à notre quête de réconciliation nationale ». « Le Président devrait encourager la discussion en s'abstenant de toute nouvelle attaque verbale à l'encontre de ceux qui remettraient en question son projet de charte. Il devrait faire en sorte qu'un référendum n'ait lieu que lorsque les Algériens auront eu l'opportunité de participer à un débat en toute connaissance de cause », avait averti l'ONG de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch, dans son analyse de la charte. Lors d'un meeting de la campagne référendaire à Béchar, le chef de l'Etat a déclaré qu'« il n'y avait pas à philosopher » autour du projet de charte. Des familles de disparus ont été brutalement interpellées à Constantine le 22 septembre près du stade où, une demi-heure après, le chef de l'Etat a tenu un meeting. Secrétaire générale de l'Association des familles de disparus de la wilaya de Constantine, Louiza Saker avait déclaré à Amnesty International que les « membres des forces de sécurité les avaient battues et insultées et qu'ils leur avaient asséné des coups de poing et des coups de bâtons ». A Ia demande au gouvernement de garantir que « la charte pour la paix et la réconciliation nationale ne permette pas l'adoption de mesures visant à criminaliser les activités légitimes des défenseurs des droits humains, des victimes et de leurs proches ». Mi-septembre 2005, des militants du MDS à Alger et Constantine ont été arrêtés par la police pour avoir diffusé des tracts appelant au boycott du référendum du 29 septembre. Les médias lourds, pourtant astreints à la mission de service public, ont été fermés à la critique. Le « oui » au référendum du 29 septembre a bénéficié de la massive mobilisation des moyens publics et des administrations centrales et locales sans que les citoyens aient un droit de regard sur l'équité des expressions pourtant garantie par la Constitution. Le reste du dispositif était, et demeure, assuré par l'état d'urgence -dont la prorogation sans avis parlementaire viole la Constitution- qui dure depuis 1992. L'article 46 de l'ordonnance présidentielle, entrée hier en vigueur avant de passer par le Parlement, constitue un tour de vis supplémentaire. Faut-il encore signaler qu'aucun débat public n'a accompagné la préparation de ce texte. Les associations de proches de victimes ont regretté leur mise à l'écart dans l'élaboration du projet de la charte. Lors du meeting à Constantine, le président Bouteflika avait déclaré que « la charte est le résultat d'un ijtihad (effort, exégèse) d'un groupe restreint. Un groupe de gens qui croient à l'unité du peuple et la sauvegarde du territoire ».