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La charte pour la paix et la réconciliation
Un texte sacré ?
Publié dans El Watan le 06 - 03 - 2006

La charte pour la paix et la réconciliation nationale qui vient d'être promulguée dans le Journal officiel relève-t-elle de l'ordre du sacré qui ne laisse place au moindre commentaire ? L'article 46 chapitre 6 de l'ordonnance qui codifie ce qui est considéré comme des atteintes à l'esprit et à la lettre de la loi a prévu des mesures répressives très sévères à l'encontre des contrevenants.
L'ordonnance ne parle pas expressément dans l'intitulé du chapitre en question de mesures répressives à proprement parler, mais utilise une sémantique inspirée de la philosophie de la réconciliation telle que pensée par ses initiateurs. Il s'agit pour le législateur non pas de sanctions pénales mais de « mesures de mise en œuvre de la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de la République algérienne démocratique et populaire ». L'article en question dispose qu'est « puni d'un emprisonnement de 3 à 5 ans et d'une amende de 250 000 DA à 500 000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne, démocratique et populaire, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d'office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double ». Cet article est tellement dilué dans ses présupposés que l'on ne peut que s'interroger sur la portée politique véritable de cette disposition. Derrière l'énoncé très généreux du sixième chapitre visant à codifier dans la loi « la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la République » - une reconnaissance qui ne peut être qu'ardemment soutenue et partagée par tous les patriotes et les démocrates qui ont lutté, chacun à sa manière, pour préserver la République et faire barrage au projet théocratique - se cache des desseins inavoués et des non-dits qui trahissent les véritables objectifs poursuivis au travers de cet article. Les motifs du délit retenus dans cet article de loi sont tellement vagues, généraux qu'ils ouvrent la porte à toutes les interprétations aux conséquences graves.
Un exercice difficile
Pour être applicable et juste, la loi ne doit souffrir aucune ambiguïté, et aucune interprétation de nature à la vider de sa substance. En l'espèce, l'article 46 réprime sans le dire expressément le délit d'opinion et rien d'autre. Sous couvert de la sauvegarde de « l'honorabilité des agents de l'Etat » qui ont sauvé la République et auxquels la nation doit respect et reconnaissance, du moins ses enfants qui ont une autre vision de l'Algérie que celle des ténèbres dans laquelle elle avait failli basculer, on voudrait tout simplement mettre sous scellés cette page trouble de l'histoire du pays que l'on cherche à enterrer rapidement. Sans même s'encombrer d'organiser quelques funérailles que ce soit pour ne pas avoir à remuer le couteau dans la plaie, à écorcher des consciences et surtout à établir des culpabilités alors que l'on cherche à se convaincre et à convaincre qu'il n'y a ni vainqueur ni vaincu, ni agresseur ni agressé dans cette crise qui a meurtri le pays. Qui et que vise-t-on à travers la pénalisation de « toutes déclarations, écrits ou tout autre acte » - que la loi ne précise pas - (qui) « utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne, démocratique et populaire, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international » ? En clair, cela voudrait tout simplement dire que le moindre commentaire critique, la moindre réserve sur cette période sombre, conduirait fatalement son auteur droit en prison. Et les parties auxquelles s'adressent la menace sont clairement identifiées dans l'article de la loi. Quand l'article évoque comme corps de délits les déclarations, les écrits ou tout autre acte dont on devine qu'il pourrait s'agir de manifestations, de rassemblement... il ne fait aucun doute que c'est essentiellement la presse et les partis qui sont visés. En d'autres termes, ce qui est recommandé à travers cet article, c'est d'oublier ce qui s'est passé ou tout au plus en parler, mais dans un sens strictement positif pour vanter les vertus de la réconciliation nationale. Un exercice difficile qui relève de l'autoflagellation morale et intellectuelle auquel on invite la classe politique, les journalistes et tous les témoins gênants qui pourraient être tentés de faire ou de refaire l'histoire de cette crise avec un autre regard qui ne correspond pas au diagnostic établi par le pouvoir et à la thérapie administrée.
Théories révolutionnaires
Le moins que l'on puisse dire est que la démarche officielle est loin de faire consensus et c'est tout à fait légitime pour une crise aussi destructrice que celle que le pays a vécue. La parole et le débat contradictoire comme on l'a vu ailleurs, en Afrique du Sud et plus proche de nous au Maroc, font partie des thérapies révolutionnaires qui ont fait leurs preuves. C'est même le meilleur remède pour exorciser les démons qui sommeillent dans une société. En Algérie, à travers un article de la loi, on a voulu mettre en prison et tuer l'histoire qui est par définition un matériau vivant, pérenne, qui survit à toutes les manipulations politico-juridiques. Et comme à chaque fois que le champ des libertés se rétrécit chez nous, nos affaires internes sont traitées inévitablement ailleurs, sous d'autres cieux et dans d'autres espaces de débat qui ne nous veulent pas toujours du bien et qui ont suffisamment d'impact pour « ternir l'image de l'Algérie ». Bien plus que ne le ferait un journaliste ou un homme politique algériens qui auraient à émettre une opinion contraire à la philosophie de la charte pour la paix et la réconciliation.


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