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Le débat sur l'option des super-ministères
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Publié dans El Watan le 11 - 06 - 2012

Il est question de restructurer les différentes entités ministérielles de l'Etat. Un débat s'est imposé sur la question, ce qui est très positif. De nombreux analystes, ainsi que des représentants patronaux, des ONG et de nombreuses parties prenantes se sont prononcés sur le sujet. A ce titre, la vaste majorité des intervenants ont préconisé une restructuration en grandes entités, des super-ministères avec des secrétariats d'Etat. A titre d'exemple, on pourrait avoir un ministère de l'Economie et des Finances qui regrouperait l'industrie, la PME/PMI et le commerce. Ou un ministère de l'Education et de la Formation qui fusionnerait l'enseignement supérieur, l'éducation, la formation professionnelle et le reste. Ce serait en soi une bonne avancée. Ceci signifierait que le mode de fonctionnement des structures de l'Etat est passé à une étape supérieure.
Cette situation arrive fréquemment dans le monde des affaires. Lorsqu'une firme entreprenante voit ses affaires se démultiplier, elle revoit en profondeur son mode d'organisation. Souvent, elle adopte une structure divisionnaire. Une division serait ainsi une entité plus ou moins autonome regroupant plusieurs activités connexes, proche du concept de filière. Une entreprise peut avoir une division agroalimentaire, une autre liée à la construction et une troisième aura pour objet les services. Généralement, on fonctionne ainsi avant de s'ériger en groupe : les divisions deviendraient alors des filiales. Beaucoup d'entreprises internationales avaient historiquement emprunté cette voie. Mais pour les Etats, les formes d'organisation à différents stades de développement diffèrent de celles des entreprises. Quelles sont les conséquences pour notre situation actuelle ? C'est ce que nous allons développer dans ce qui suit.
De l'organisation des états
Il est vrai que la forme d'organisation actuelle des pays développés se rapproche du schéma que l'on désire ériger aujourd'hui dans notre pays. Les nations développées (USA, France, Suède, etc.) sont structurées en grandes entités. Cette forme d'organisation a de nombreux avantages. Elle permet une meilleure coordination des secteurs voisins. Ainsi, pour développer la PME/PMI et les entreprises efficaces, un super-ministère peut fixer des objectifs de financement aux banques : 80% des crédits seraient orientés vers le financement de l'économie productive. L'émiettement des ministères qui prévalait jusqu'alors était un sérieux handicap à une harmonisation des décisions et des modes d'exécution des politiques économiques. C'est un peu la forme ultime à laquelle sont arrivés des pays dont les économies sont plus avancées. Mais cette configuration suppose un certain nombre de préalables. Il ne suffit pas de la calquer telle quelle pour résoudre les sérieux problèmes du pays. Les Etats qui l'adoptent ont au préalable assis de solides fondamentaux. L'éducation, le transport, la santé et l'efficacité institutionnelle sont, en grande partie, préalablement réglés. Autrement dit, ces pays ne sont ni en voie de développement ni en transition à l'économie de marché.
Ils ont pratiquement réglé les problèmes de leurs fondamentaux. Leur base économique est solide. Il leur reste des réglages mineurs à opérer de temps en temps. Cela n'a rien à voir avec les crises macroéconomiques sévères qu'ils subissent. Ils ont des entités microéconomiques solides et de temps en temps de graves problèmes macroéconomiques. Bien évidemment, les priorités peuvent évoluer en fonction des partis politiques. Certains voudraient plus de justice sociale et donc procèderaient à une modification des structures de taxes. Les partis de droite incluraient dans leur programme une plus grande rigueur dans les dépenses publiques. Mais on n'a pas à révolutionner le mode organisationnel. Ce dernier est un aboutissement d'un long processus d'essais et d'erreurs au cours duquel des transformations structurelles importantes eurent lieu. Par ailleurs, cet agencement repose énormément sur les entités soft : think tanks, simulateurs, afin d'instaurer une cohérence entre les différents super-ministères. Les décisions gouvernementales s'appuient énormément sur ces entités d'intelligence (INSEE en France, Council of Economic Advisers aux USA) pour coordonner les différents programmes.
Ce qu'il nous faut
Nous n'avons pas achevé les transformations institutionnelles qu'il nous faut pour ériger une économie de marché émergente. La vaste majorité des secteurs doivent connaître des restructurations fondamentales. L'éducation devrait être modernisée, l'enseignement supérieur mis à niveau et l'administration modernisée. Le management de nos entreprises et de nos institutions à but non lucratif devrait être radicalement refondé. Notre transition est loin d'être finalisée. Nous peinons à concevoir des politiques de développement cohérentes et efficaces. Nous sommes loin de prétendre nous rapprocher des caractéristiques d'une économie émergente. Lorsqu'on est à cette étape, une organisation de l'Etat par super-ministères est loin de suffire. Nous ne devons pas nous comparer aux pays développés qui ont opéré des multitudes de réglages institutionnels durant de nombreuses décennies. Nous ne pouvons pas nous assimiler à des pays qui ont réussi à bâtir de solides fondamentaux. Si on compte uniquement sur le regroupement de ministères pour améliorer le fonctionnement de notre Etat, on fera une lourde erreur. Cependant, répétons encore une fois que ce serait une décision correcte. Mais tout simplement elle serait trop insuffisante pour éradiquer les nombreux dysfonctionnements auxquels nous faisons face. Gérer c'est prévoir. Il ne faut pas croire qu'en faisant un seul pas on arriverait à parcourir un kilomètre.
Dans quelques années, on reviendra sur cette question pour constater que de nombreuses espérances ont été déçues. Pourquoi alors ne pas prendre les dispositions qui s'imposent dès maintenant ? Nous avons beaucoup plus besoin d'une «structure cerveau» qui fait la cohérence de tous les secteurs. Elle peut être érigée en staff (c'est-à-dire conseil) ou ligne (opérationnelle). On peut recourir à une institution type institut de stratégie ou ministère du plan, mais avec une très grande autorité et des moyens humains et matériels conséquents. Cette institution dialoguera en permanence avec toutes les forces vives de la nation (syndicats, patronat, ONG, centre de recherches et simples citoyens) pour transformer les directives politiques en stratégies et politiques sectorielles.
La planification indicative a existé dans de nombreux pays capitalistes pendant de nombreuses décennies. Aujourd'hui, l'institut coréen de développement et le comité de planification chinois jouent ce rôle. Ils coordonnent tous les secteurs, pas uniquement les activités voisines. Nous sommes à une étape de développement où on a besoin d'une telle institution. Il y aura des améliorations apportées par des super-ministères, mais elles seront trop insuffisantes pour la phase actuelle de notre développement.
Réorganiser un Etat n'est pas une chose simple. Il faut s'inspirer de toutes les connaissances et les expériences dont nous disposons. De surcroît, nous devons savoir les adapter à une réalité socioculturelle locale très particulière. En mettant tout cela ensemble, on arrive à la conclusion que nous avons besoin à 90% d'«une institution cerveau» et de 10% seulement de «super-ministères».

Abdelhak Lamiri. PH. D. en sciences de gestion
[email protected]


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