J'ai expliqué à maintes reprises que nos experts ont induit en erreur nos décideurs. Ils leur ont préconisé de développer la demande alors qu'il fallait améliorer l'offre en quantité et en qualité. Dans les pays en voie de développement l'offre crée en grande partie la demande mais l'inverse n'est pas vrai. Dans les pays développés, la demande crée souvent l'offre, surtout en période de récession. Dans cet essai, nous allons expliquer pourquoi la vaste majorité de nos experts, qui avaient cautionné les plans de relance, faisaient fausse route. Il y a bien des raisons à cela. Elles tiennent, selon moi, à l'analyse du mode de fonctionnement d'une économie. Le concept de pyramide économique explicite bien ces aspects. Pour cela, nous allons expliquer le schéma et situer pourquoi les économies des pays développés fonctionnent différemment de ceux des pays en voie de développement. Il ne faudrait pas faire une confusion entre les mécanismes des uns et des autres. La pyramide économique Cette section vise à simplifier la compréhension les modes de fonctionnement d'une économie. Cette dernière peut être vue comme une pyramide comprenant trois niveaux : 1. Les fondamentaux de base : ils constituent les piliers, les fondations sur lesquelles sont édifiées une économie. Ils sont les fondements de la puissance d'une nation. Ce sont les qualifications humaines, la motivation au travail, le degré d'entrepreneurship, la recherche et le développement, la maîtrise technologique, le management, l'intelligence, l'information économique et la capacité du pays à développer et utiliser les qualités de sa population. Le premier facteur-clé de succès de toute économie demeure la qualification et l'utilisation efficiente des ressources humaines. Le second a trait au management de l'information. 2. Les politiques sectorielles : ce sont les politiques de logement, de la santé, de l'éducation, du tourisme, etc. Elles peuvent être adoptées pour apporter des correctifs aux fondamentaux de base. Souvent, elles font partie des programmes de gouvernements. Ce palier est souvent appelé méso-économie ou l'échelon entre la micro et la macroéconomie. 3. La macroéconomie : ce sont les politiques monétaires, budgétaires, de taux de change, etc. Ce sont des décisions transversales, qui concernent l'ensemble des secteurs et des agents économiques. Il est évident qu'il y a des interfaces et des interconnexions importantes entre les trois niveaux. La séparation obéit uniquement à des considérations pédagogiques. Elle nous sera très utile pour expliquer certaines insuffisances de politiques économiques. En analysant ces trois niveaux, on peut saisir les disparités entre d'un côté les caractéristiques des pays à économie de marché et de l'autre celles des formations en transition ou en voie de développement. Tout au long de leurs parcours, les nations développées sont arrivées à bâtir des fondamentaux de base solides et compatibles avec les exigences de fonctionnement normal d'une économie de marché. Les éléments sont toujours perfectibles, la dynamique du changement y est intégrée. Parfois, de sérieux problèmes subsistent. Mais leur longue histoire économique, ainsi que les succès et erreurs obtenus après maintes tentatives et tâtonnement, leur ont permis d'échafauder une structure de base cohérente et dynamique. Les défis les plus sérieux demeurent au niveau macro-économique. Les récents dommages financiers – conséquence de la crise des Subprimes- constituent un bel exemple. Parfois, les préjudices macro-économiques, ont leurs origines dans les dysfonctionnements des fondamentaux. L'effet papillon se manifeste sans prévenir. Les pays sous-développés ou les pays en transition ont d'autres priorités. Les équilibres macro-économiques doivent être maîtrisés : déficit budgétaire, inflation, balance des paiements et investissement. Parallèlement à ces politiques globales, ces pays ont besoin de transformer rapidement et prioritairement leurs fondamentaux de base : système éducatif, management, système d'information, requalifications humaines, climat des affaires, entrepreneurship et mobilisation des énergies de tous. Les politiques macro-économiques ne donnent guère de résultats dès lors que les fondamentaux micro-économiques sont déstructurées. En fait, un bon ordonnancement des réformes consiste à privilégier le bas : travailler en profondeur les institutions, les comportements et les interactions à la base. Il faut consacrer plus de temps et de ressources à cette dimension. Ceci explique pourquoi les réformes chinoises ont débuté par les qualifications humaines à tous les niveaux, puis par une forte décentralisation dans les régions ciblées. On a travaillé en priorité les fondamentaux avant de s'attaquer aux infrastructures et aux politiques des IDE. Les milliers d'universités et d'instituts créés témoignent de l'effort gigantesque accompli dans ce domaine. L'Algérie s'est trompée de modèle, de diagnostic et donc de schéma thérapeutique Plusieurs pays font fi de cette distinction. Ils commencent à copier les politiques des pays développés en oubliant qu'ils ne sont pas dans le même contexte. L'Algérie en est un parfait exemple. Le pays a mobilisé des ressources gigantesques pour combler le retard en matière d'infrastructures et réduire le chômage. Bien évidemment, ce plan s'inspire de la théorie Keynésienne. On oublie que toute théorie a des hypothèses. Si ces dernières ne sont pas satisfaites on risque de l'utiliser hors contexte. La thérapie keynésienne est très précieuse pour une économie de marché. Elle a contribué à sauver les économies avancées des dépressions et de multiples récessions. Elle constitue une avancée considérable dans les sciences sociales. Mais elle donne des résultats minables pour les pays sous-développés et en transition à l'économie de marché. Pourquoi ? Parce que ses hypothèses sont les suivantes : 1. L'économie a des fondamentaux micro-économiques solides : management efficace des entreprises, esprit d'entrepreneurship évolué, bonne gouvernance publique. Le bas de la pyramide ne pose pas de sérieux problèmes ; 2. Les politiques sectorielles sont cohérentes et ne sont pas la source des dysfonctionnements économiques ; 3. Le problème se situe au niveau macro-économique : la demande globale des agents économiques est de loin inférieure à l'offre. Il y a un sérieux problème de confiance. Les consommateurs ont peur de l'avenir et épargnent trop et les investisseurs réduisent les dépenses en équipement précisément parce que les citoyens sont pessimistes et dépensent très peu. Le seul agent susceptible de réinstaller la confiance est l'Etat. Il faut qu'il fasse usage de sa politique monétaire et budgétaire pour accroître la demande. 4. Les entreprises économiques connaissent une sous-utilisation des capacités, conjoncturelle, due à une insuffisance de la demande. Les entreprises sont capables d'utiliser rapidement et efficacement leurs capacités non utilisées 5. Les dépenses des ménages et des entreprises vont surtout booster la production nationale. Le pouvoir d'achat créé par lEtat ne va pas booster les importations. Nous voyons bien que ces hypothèses sont bien loin de la réalité des contextes des pays en transition, surtout celui de l'Algérie. Le keynésianisme n'est pas l'ordonnance qu'il faut à notre pays. Nous nous sommes trompés de modèle, de diagnostic et donc de schéma thérapeutique. Les pays développés doivent se soucier surtout de gérer le niveau macro-économique. Les pays en transition doivent surtout manager leurs institutions, leur niveau micro-économique. Nous avons largement évoqué les erreurs de transfert de modèle dans notre section précédente. La pyramide économique nous permet de saisir et d'interpréter la qualité des politiques économiques d'un pays. Force est de constater que nous avons erré au-delà de l'imaginable. Ceci explique pourquoi malgré une mobilisation excessive de ressources, l'économie hors hydrocarbure peine à se matérialiser. Pour arriver à cet ambitieux résultat, nous devrions transformer nos entreprises en entités créatrices de richesses. Quelles leçons en tirer ? Dans plus de 99% des cas, les schémas économiques et managériaux sont transférables. Heureusement pour nous ! Mais parfois, un modèle peut causer plus de problèmes qu'il n'en résout. La pyramide économique nous indique les différences fondamentales entre les économies développées et celles en voie de développement. Les premières ont surtout des problèmes macroéconomiques (endettement excessif, non maîtrise des cycles conjoncturels) et doivent donc consacrer beaucoup de temps et de ressources à piloter les grands agrégats. Les pays sous-développés se situent au bas de la pyramide : ils doivent se soucier des qualifications humaines, de l'entrepreneurship, de la gouvernance. On ne peut pas utiliser les mêmes politiques et réussir. Nous nous situons en bas de la pyramide, ils se situent en haut. Nous n'avons pas les mêmes types d'économie et par conséquent, on ne peut pas utiliser les mêmes types de politique.