Dans le nouveau paysage culturel algérien, le FELIV occupe une place particulière, sinon singulière. En toutes lettres, Festival de littérature et du livre de jeunesse, cette rencontre est la deuxième en importance dans le secteur du livre et de l'édition après le Salon international du livre d'Alger. Il se distingue de celui-ci par son caractère de festival, consistant essentiellement en programmes d'animations littéraires et culturelles plutôt qu'en exposition-vente. L'autre trait de la manifestation est de mêler sous la même enseigne, et donc le même espace-temps, la littérature et le livre de jeunesse. A notre connaissance, il n'existe pas d'équivalent dans le monde de cette juxtaposition entre deux catégories éditoriales basées, la première, sur un contenu et une forme et, la seconde, sur un type de lectorat. Cette dualité exceptionnelle et probablement unique est une source d'ambivalence, voire d'ambiguïté. En effet, nombreux sont ceux qui ne considèrent le FELIV que sous l'angle de son positionnement sur le créneau éditorial junior, un peu comme un petit SILA destiné aux jeunes tranches d'âge. D'où ces propos, par exemple, d'une mère de famille, enseignante de profession, qui s'étonnait, lors de l'avant-dernière édition, de la programmation aussi importante «d'écrivains pour adultes», étant intéressée avant tout par le besoin de lecture de ses enfants. Il faut souligner que l'intitulé du festival renforce un peu cette confusion : «littérature et livre de jeunesse» que chacun peut entendre comme littérature de jeunesse et livre de jeunesse. C'est peut-être la recherche d'un acronyme plaisant et mémorisable (F.E.L.I.V) qui a conduit à cet agencement des termes quand leur inversion pourrait rendre plus visible la dualité de la manifestation : «livre de jeunesse et littérature». Mais, au-delà des mots, il y a là une véritable réflexion à mener, d'autant que la cinquième édition marque une certaine accumulation d'expériences autorisant un regard prospectif. Faut-il séparer les deux objets du festival ? Et déboucher ainsi sur une manifestation propre à la littérature et une autre consacrée entièrement au livre de jeunesse ? A priori, cette perspective pourrait être intéressante. Elle permettrait déjà d'enrichir l'agenda des rencontres liées au livre et qui, en dehors du géant SILA, demeure encore bien limitée (FELIV, FIDBA, programme «Lire en fête» depuis l'an dernier…). D'autre part, chacun des objets considérés mérite une mise en valeur. La littérature dispose d'un lectorat important en Algérie où se distinguent notamment les lectrices. C'est, de plus, une catégorie essentielle du monde de l'édition par ses effets non négligeables sur la chaîne du livre, l'activité des librairies et bibliothèques, mais surtout par son implication dans l'univers des valeurs, des idées et de la formation éthique et esthétique des individus. C'est aussi un repère précieux, témoignant de la société et de la nation et en exprimant les caractères et les tendances tout en assurant une ouverture sur le monde. Son rôle dans le combat pour l'indépendance, puis dans le traitement des problèmes ultérieurs de la société, est là pour l'attester. On doit aussi considérer les menaces qui pèsent sur la littérature : la prise en charge de plus en plus forte des besoins de fiction par l'audiovisuel, la baisse des pratiques de lecture en la matière, des tirages faibles (un roman à 2000 exemplaires est un best-seller en Algérie !), des droits d'auteur insuffisants, empêchant les écrivains de s'engager pleinement dans des carrières littéraires, etc. Autant de raisons qui peuvent plaider pour une manifestation individualisée consacrée à la littérature, en tant que tremplin d'actions de promotion du genre. De même, la littérature junior ne manque pas d'arguments pour disposer d'un rendez-vous autonome. La démographie est le premier dans un pays où la moitié de la population a moins de 19 ans. Si le taux de scolarisation est fort, il s'accompagne d'une baisse parfois désastreuse de la maîtrise des langues dans leur ensemble. La lecture d'œuvres littéraires, socle d'un véritable apprentissage linguistique, n'est pas assurée au sein de l'école et ne jouit d'aucune promotion importante dans la société, comme si l'on avait décidé de baisser les bras devant l'avancée prodigieuse des nouvelles technologies de communication, devenues un prétexte à ne rien faire. Les enfants et les adolescents lisent très peu et de moins en moins. Et, on attend toujours la mise en œuvre de la mesure commune aux ministères de la culture et de l'éducation nationale par laquelle devait être adopté un programme d'introduction dans les programmes d'œuvres littéraires et de pratiques de lecture. C'est dire que les deux pôles du FELIV, le livre de jeunesse et la littérature, recouvrent des enjeux culturels, sociétaux et même économiques essentiels au développement du pays et à l'épanouissement de ses habitants. La perspective de doter chacun de ces pôles d'une manifestation séparée est justifiable de maintes façons. Elle doit cependant être abordée avec méthode en considérant l'ensemble du dispositif de manifestations consacrées au livre dans une approche de complémentarité. De plus, la formule actuelle permet d'attirer un public parents-enfants dont on ignore la proportion mais qui semble important. La dualité de la manifestation pourrait devenir ainsi, non pas une incidence, mais une véritable démarche d'encouragement à la lecture familiale. En attendant, le FELIV se distingue par une dynamique culturelle originale et pertinente. C'est un des rares festivals à oser la décentralisation en étendant ses éditions vers des régions autres que celle de son lieu de déroulement (cette année, Batna et Sidi Bel Abbès) et à s'engager dans la recherche de nouveaux espaces d'expression culturelle, comme l'illustrent les expositions littéraires dans le Métro d'Alger, une première qui souligne une réflexion sur les canaux de diffusion et une volonté d'aller au devant des publics. La qualité de sa programmation littéraire et artistique, son souci de la communication et la belle équipe réunie autour du commissaire, Azzedine Guerfi, se traduisent par une progression qualitative. Contrairement à ce que l'on pense souvent, le succès est une raison très valable d'envisager de nouvelles perspectives et de susciter la réflexion. Cinq ans après, cela vaut le détour.