La « marchandisation » du monde n'est pas extensible à toutes les activités de l'homme. Les militants altermondialistes devraient se réjouir de ce qui est arrivé au Real de Madrid. Voilà 5 années, déboulait à la tête du club de football le plus titré de la planète un grand patron du capitalisme espagnol, Fiorentino Perez, ancien PDG , entre autres, de Dragados bien connu des Algériens. Argument de campagne, un business-plan d'enfer : acheter chaque été le ballon d'or de la saison précédente, une étoile à plusieurs dizaines de millions d'euros et attirer avec lui ses droits d'image, son champ d'influence commercial dans le monde et son chiffre d'affaires en produits dérivés. Il n'y a pas d'équivalent dans le monde de l'entreprise à ce que veut faire Perez dans le football. Ou peut-être si : attirer dans un grand journal new-yorkais chaque année le prix Pulitzer de l'année précédente et gagner avec lui une nouvelle audience de lecteurs et donc un surcroît d'annonceurs et de recettes publicitaires. L'idée ressemble à son époque : valoriser son capital le mieux possible pour plaire à ses actionnaires. Fiorentino Perez a tenu parole. Il a recruté les plus grandes stars du monde année après année : Figo en 2000, Zidane en 2001, Ronaldo en 2002, Beckham en 2003, Owen en 2004, Robinho en 2005. Investissement de plus de 300 millions de dollars que certaines balances de paiement de la rive sud du monde n'enregistrent pas sur une période quinquennale. La recette a marché. Le Real de Madrid, éblouissante constellation galactique, est devenu une marque d'excellence que l'on se dispute dans le monde. Droits de télévision, contrats de sponsoring, recettes du merchandising, tarifs de tournée sur les continents lointains, loyer de la loge VIP au stade Bernabeu, tout a explosé comme escompté. Encore mieux, car à la deuxième année du plan Perez, une neuvième coupe d'Europe des champions tombe dans l'escarcelle du club. Les managers des clubs de football « à l'ancienne » observent, médusés, le boom de la valeur « Real ». Il fallait donc dépenser beaucoup pour gagner beaucoup plus. Bien sûr, des voix de « puristes » se sont élevées contre cette marchandisation outrancière des joueurs de football qui étaient transférés au club non plus pour combler un besoin technique dans un secteur du jeu, mais seulement parce qu'ils allaient attirer encore plus de revenus par leur seule présence dans l'effectif. Pas d'écoute. Fiorentino Perez a été réélu triomphalement en juillet 2004 par des Socios (abonnés du club) hypnotisés par la voûte céleste. C'était pourtant après une première année blanche. Sans aucun titre sportif. Un minidrame en soi quand on s'appelle le Real. Accident de parcours ? Pas sûr du tout. Le Real n'a rien gagné en 2005 et ne gagnera très probablement rien encore cette année. Mais qu'est-il donc arrivé à la belle histoire à succès ? Simplement qu'elle a oublié que toutes les entreprises ne sont pas les mêmes et que chacune obéit d'abord aux lois de son métier avant celle du capitalisme financier. Le Real de Madrid peut continuer à gagner de l'argent sur sa lancée galactique, mais il ne peut pas vivre sans succès sportifs. Or les succès sportifs s'obtiennent avec une autre architecture humaine, où les sombres récupérateurs du milieu de terrain - les antistars comme Makelélé libéré pour Chelsea - sont aussi précieux que les starissimes Ronaldo et consorts qui finissent le travail pour 90 000 euros la semaine. Une équipe de football a « simplement » besoin de talents divers et complémentaires. Tout comme d'ailleurs le grand journal new-yorkais qui ne pourra pas survivre longtemps avec une rédaction où cohabitent seuls des lauréats de Pulitzer, car il faut bien donner aussi à lire « du chien écrasé » de « la critique de cinéma » et du « compte-rendu sportif » . Fiorentino Perez a défrayé la chronique - des affaires plus que du sport - cette semaine en démissionnant de son poste. Il aura le temps de méditer cette phrase sublime de Raynald Denoueix, un entraîneur français créateur de collectif : « Un joueur A peut avoir un prix donné, un joueur B peut avoir un autre prix, mais ce qui n'a pas de prix dans le football, c'est le rapport que l'on arrivera à créer - ou peut-être pas - entre le joueur A et le joueur B. »