C'est Assia Djebbar, la première, qui nous initia à Béla Bartók et à sa musique. Lorsqu'elle tournait La Nouba des femmes du mont Chenoua, elle n'arrêtait pas de nous pousser à écouter l'Allegro Barbaro de ce grand génie qu'elle utilisa d'ailleurs dans son film. Par la suite, notre ami Laslo, le Hongrois, prit le relais pour continuer notre éducation musicale. Durant de longues années et à l'occasion du vendredi après-midi, à Aïn Benian, il nous expliquait avec patience et un sens aigu de la pédagogie ce qu'était la musique, ce qu'était Béla Bartók. Si ces deux grands mélomanes mirent tant d'efforts pour nous rapprocher de Bartók, c'était pour nous aider à découvrir les sonorités des mélodies et des chants de notre Sud, et tout particulièrement de la région de Biskra où le musicien hongrois fit de longs séjours. L'expérience et le travail de ce musicien nous rappellent le voyage d'Archi Shepp chez les Touareg à l'occasion d'improvisations autour du jazz. Cette fois, c'est Omari Wahid notre ami, notre musicien qui nous a quittés il y a quelques années, qui nous a appris, avec son flegme et sa bonhomie, son éternel mégot au coin des lèvres, l'importance du travail d'Archi Shepp et l'importance du jazz. Avec l'absence de Wahid, les rues d'Alger sont aujourd'hui moins belles, surtout la rue Larbi Ben M'hidi et la rue Che Guevara où il y flânait si souvent avec ses cheveux longs et sa belle barbe à la Victor Hugo. Pour notre part, nous n'oublierons jamais cet intense moment d'émotion et de recueillement lorsque, à la Cinémathèque, l'acteur Hadj Meziani nous lut la lettre de son fils Christian, lui aussi artiste, puisqu'il est musicien et peintre. A cet instant précis, Wahid, dans son lit de mort chargé de menthe, ses amis artistes autour de lui, Hadj Meziani nous fit écouter la musique que voici, et tout d'un coup, la Cinémathèque devint cathédrale. Pour Wahid et ses amis Adieu père chéri Adieu Wahid, Abdel Wahid J'entends ta voix tranquille, forte jusqu'au bout Tu as choisi en hommage aux tiens un nom lumineux L'amitié guidait tes pas Au plus fort de l'orage, tu as gardé l'espoir «Le roseau c'est ma vie. Jusqu'à ma mort, je continuerai…» C'est là, en effet, où tout avait commencé pour toi, il y a très longtemps. L'histoire est longue… elle sera racontée un autre jour. Elle parle du souffle premier de la musique Elle marie le hautbois et les flûtes magiques du pays profond... le chant d'oiseau de la petite flûte arabe de la nouba, la voix rauque de la flûte gasba, le son des origines… unique au monde, disait Wahid. Ta passion éclatait. Et oui, tout revenait à l'amour du pays qui t'a vu naître. Oui, dans la tempête, le roseau plie mais ne rompt pas… et ce n'étaient pas des mots en l'air... j'entends ta voix, tes histoires drôles. Tu aimais tant faire rire ! Je t'ai vu peu de temps avant ton départ. Quelle détermination ! Quelle joie de vivre ! Quelle leçon ! En ce moment solennel, déchirant, je remercie tes amis, mes amis. Ils comblent, ô combien, ton absence qui m'est cruelle. Ils font tout pour toi. C'est mon réconfort. Je suis tout proche de toi grâce à eux.