La crise est ouverte entre le président tunisien, Moncef Marzouki, et le gouvernement Ennahda. La cause ? La décision unilatérale du chef du gouvernement, islamiste, Hamadi Jebali, de livrer l'ancien Premier ministre libyen sous El Gueddafi, Al Baghdadi Al Mahmoudi, aux autorités libyennes. «Le citoyen Al Baghdadi Al Mahmoudi a été livré dimanche 24 juin au gouvernement libyen», a annoncé un communiqué laconique du gouvernement, confirmant ainsi la déclaration du porte-parole, Ridha Kazdaghli, faite quelques heures auparavant. M. Al Mahmoudi, âgé de 67 ans et incarcéré en Tunisie depuis le 21 septembre, a donc été extradé hier matin en direction de Tripoli, sans que le président de la République tunisien en soit informé. C'est là le premier couac, la première pierre jetée par le gouvernement islamiste dans le jardin de Moncef Marzouki, qui se retranchait jusque-là dans une posture de respect d'un pacte de non-agression. Cette décision, prise en catimini à 5h du matin, sent non pas l'odeur du jasmin mais celle du musc. Politiquement, elle marque un point de rupture entre un président plutôt laïque et un gouvernement islamiste qui montre pour la première fois ses crocs. L'avocat tunisien du détenu libyen, Mabrouk Kourchid, est choqué par cette mesure. Pour lui, il s'agit tout simplement d'un «crime d'Etat». Il en veut pour preuve d'autant plus que Marzouki ne soit pas au courant. «Le gouvernement tunisien n'a respecté ni la loi, ni les règles humanitaires, ni les droits de l'homme», a accusé M. Kourchid. Et de s'écrier : «Le pire, c'est que la Présidence n'était pas au courant !» Une version confirmée par le palais de Carthage qui n'a effectivement «pas été avisé» de l'extradition de M. Al Mahmoudi, selon Adnan Manser, le conseiller du président Moncef Marzouki. L'arroseur arrosé Pour lui cette décision va déboucher sur «une crise grave» entre la Présidence et le gouvernement tunisiens. Preuve que cette décision a été prise à la hâte pour se débarrasser de «l'encombrant» Al Mahmoudi, le président Marzouki n'était même pas à Tunis au moment des faits. «Le Président n'a signé aucun décret (…)» d'extradition, «il se trouvait ce dimanche (hier) dans le sud du pays pour les commémorations du 70e anniversaire de l'armée tunisienne», précise le conseiller de Marzouki. Ceci étant dit, au-delà du fait que le gouvernement Ennahda ait fait cavalier seul sans même attendre le paraphe indispensable du Président, cette affaire se décline politiquement comme une rupture unilatérale d'un pacte de gouvernement entre un président de gauche et un chef du gouvernement islamiste. Faut-il rappeler que Moncef Marzouki avait affirmé, début juin, «son opposition de principe» à l'extradition de M. Al Mahmoudi, si des garanties sur le respect des droits de l'homme et un procès équitable n'étaient pas réunies. Réponse immédiate de son chef du gouvernement, Hamadi Jebali, «la décision d'extradition est irrévocable et ne nécessitait pas la signature du président de la République». Finalement, Hamadi Jebali ne s'est même pas encombré de la signature de Marzouki pour envoyer le détenu politique sous les fourches caudines du régime libyen. En jetant ainsi l'ex-Premier ministre d'El Gueddafi dans les bras des autorités certainement revanchardes du CNT, Ennhada pourrait avoir signé son acte de décès. Même l'ancien président intérimaire, Fouad Mebazaa, n'avait jamais voulu signer le décret d'extradition malgré l'avis favorable de la justice tunisienne. Si à Tripoli, l'extradition d'Al Mahmoudi va sans doute servir de trophée de guerre pour requinquer l'aura d'un régime chancelant, en Tunisie, elle aura valeur d'un cadeau empoisonné. Le président Moncef Marzouki sait désormais que les décisions importantes se prennent loin de son palais doré de Carthage. Et ça ne devrait pas lui faire plaisir, lui qui s'est même fait l'avocat du parti d'El Ghannouchi.