«La crise c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître» (Antonio Gramsci) Il ne s'agit pas ici d'établir un bilan de 50 années de «réalisations». Le diable se cache dans les chiffres, dit-on. Nous nous interrogerons dans les lignes qui suivent sur le «pourquoi», 50 ans après l'indépendance, notre jeunesse ne rêve pas d'Algérie ? Pourquoi, deux générations après la chute spectaculaire du colonialisme, nous enregistrons des performances médiocres dans tous les domaines de la vie économique ? Pourquoi les relations sociales ne sont pas apaisées ? D'où vient ce mal-être qui colle à l'âme de nos concitoyens ? Pourquoi cette mal-vie ? «Serions-nous, comme disait ce député de la première Constituante, entrés dans l'indépendance à reculons ?» La machinerie institutionnelle algérienne, conçue dans la hâte au lendemain du référendum d'autodétermination du 1er juillet 1962, porte en elle toutes les dissonances et les incohérences engendrées par la tourmente politico-militaire qui a accompagné les premiers jours de l'indépendance. La turpide course au pouvoir, apparue dès la fin de l'année 1959, a pavé de ses vicissitudes parfois tragiques tout le cheminement chaotique du pays. Dire que la consistance glauque des rivalités hégémoniques ont, depuis, marqué le système de façon durable n'est pas épaissir le trait. Tous les rouages de la mécanique étatique en sont affectés dès leur instauration. Mais les références à la guerre de Libération et les relations complexes qu'elle a tissées entre ses artisans, de même que sa longueur et surtout l'extrême violence de la riposte colonialiste ne peuvent pas expliquer les pratiques de pouvoir qui, un demi-siècle après son installation, par un coup de force contre les fragiles institutions héritées de la Révolution armée, particulièrement le GPRA, alors autorité légitime, ne réussit toujours pas à trouver ses lignes d'eau. On relèvera, tout au long des cinquante années qui viennent de s'écouler, comme un écho perpétuel, toute la brutalité qui a caractérisé l'installation du système algérien. Un dérivé de césarisme toujours mâtiné de constitutionnalité vernissée qui vise à tenir pour sauve l'apparence du «politiquement correct». Pourtant, à bien y regarder, l'Algérie a été dotée de textes ciselés par des orfèvres en la matière. Chaque phase de son histoire récente et chaque grande décision politique ont été accompagnées par un arsenal juridique fignolé par des maîtres d'ouvrage dont le pays n'a jamais manqué. Et ce, depuis la Charte d'Alger qui sanctionnait la réunion du 1er congrès du FLN (16-21 avril 1964), devenu parti unique, et qui posait «les fondements idéologiques de la Révolution algérienne». Ce document d'inspiration marxienne, qui flirtait avec le trotskisme international ambiant, promettait des lendemains radieux et inventait en même temps le mystérieux concept de «socialisme spécifique». Les premières années de l'indépendance ont été marquées par le «discours sans la méthode». Le président Ben Bella, qui s'est arrogé, moins d'un mois après la promulgation de la première Constitution, les pleins pouvoirs, considérant que c'était la seule parade aux oppositions à sa politique, donnait à ceux qui le «ventriloquaient» et qui l'avaient porté aux cimaises de l'Etat un prétexte qu'ils n'allaient pas tarder à invoquer en le jetant dans les oubliettes du château Holden, sur la route de Boufarik, pendant 15 longues années. Comme le péché originel, ce système imposé envers et contre la «raison politique» restera collé à l'histoire moderne du pays. L'improvisation, la pratique systématique du compromis encore en vigueur jusqu'à nos jours, l'absence d'un solide ancrage identitaire dans les profondeurs de notre histoire, le rejet du socle que pouvait constituer la guerre de Libération en tant que ciment de la cohésion nationale, la «folklorisation» de la culture devenue une denrée jetable, sont autant de portes ouvertes sur les vents chargés d'orages qui menacent encore et toujours l'Algérie. L'érosion des égalités républicaines, la corruption endémique ne sont pas des fautes de frappe mais de graves erreurs historiques. Les chiffres des «réalisations nationales», argument massue des dirigeants, ne peuvent pas constituer un antidote. Ils sont le minimum attendu.