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«La gestion du système national de santé est comparable à celle des années 1980» Le professeur Farid Chaoui appelle à la réflexion pour redresser la situation
Le système national de santé patauge dans une crise de gestion endémique. Il risque de retomber à nouveau dans un profond coma en cas de chute des prix du pétrole. «Je crains fort qu'avec la chute des prix du pétrole qui s'annonce on va revenir encore à la situation qui a prévalu au début des années 1990», affirme Farid Chaoui, professeur de médecine. Intervenant, samedi dernier dans le cadre du colloque international «Cinquante ans après l'indépendance : quel destin pour quelle Algérie ?», organisé du 5 au 7 juillet par le quotidien El Watan, Farid Chaoui a dressé le bilan de la politique algérienne de santé en 50 ans d'indépendance. Et son diagnostic est sans appel. En dépit des fortes dépenses en vue de réaliser un système de santé à la hauteur des attentes de la population, l'Algérie a fait presque «du sur-place». Le professeur revient, en effet, sur toutes les actions menées dans ce secteur depuis 1962. Au lendemain de l'indépendance, précise-t-il, l'Algérie a hérité des institutions de santé particulièrement dégradées. Ce qui est un énorme drame pour un pays pauvre et dévasté par la guerre. La situation s'est compliquée, ajoute-t-il, avec la désertion des réseaux de santé par le personnel médical d'origine coloniale. «Jusqu'au début des années 1970, les autorités n'avaient qu'un seul objectif, qui est de remettre en service ces réseaux de santé et de mettre en place un dispositif pour lutter contre les maladies transmissibles», précise-t-il. Les effets pervers de la gratuité des soins Avec la nationalisation des hydrocarbures en 1971, l'Etat introduit une nouvelle politique sur le plan sanitaire. Une politique caractérisée, selon Farid Chaoui, par la généralisation de la médecine gratuite pour toute la population et la réforme des études de médecine qui a permis la formation de médecins dont ont besoin les structures de santé du pays. Seulement, cette politique dirigiste a eu des effets pervers.Car, selon lui, la gratuité des soins n'était en réalité qu'un slogan, puisque son financement s'est effectué grâce à la Sécurité sociale. «Cette politique a siphonné les ressources de la Sécurité sociale. La médecine n'a jamais été gratuite. Elle a été financée par les cotisations des Algériens à hauteur de 60%. Le budget de l'Etat ne représente que 30% et les 10% restants ont été assumés par les ménages», souligne-t-il. Le second effet pervers réside dans la destruction du système d'information qui constituait une base de données sur le besoin de la population en matière de soins. A partir de 1979, après la mort de Boumediène, les autorités adoptent une nouvelle politique : celle des dépenses massives. Dupé par la hausse des prix du pétrole, le pouvoir investit dans l'achat des équipements lourds sans prendre connaissance des besoins de la population. «Nous avons acheté 40 hôpitaux neufs et 12 microscopes électroniques qui n'ont jamais fonctionné. Les achats ont été faits sans aucune étude sérieuse des besoins de la population», déplore-t-il. Ce gaspillage énorme s'est arrêté en 1986 suite à la chute des prix du pétrole. Cette situation a contraint alors l'Etat à réduire les dépenses de santé et d'ouvrir le secteur au privé qui était jusque-là presque inexistant. «On a fermé le robinet et on a laissé les structures de santé sans ressources. Conséquences : nous n'avons pas pu installer les équipements lourds achetés, comme nous n'avons pas pu les entretenir», dit-il. Ce n'est qu'après l'épuisement des ressources financières que les pouvoirs publics ont accepté d'ouvrir la porte à la réflexion. C'était au début des années 1990. Mais les recommandations, déclare-t-il, n'ont jamais été appliquées. La décennie noire et le plan d'ajustement structurel ont affaibli davantage le système national de santé. Après cette rétrospective, le professeur revient sur la situation actuelle. La gestion du secteur de la santé actuellement est «comparable à celle des années 1980». «On a de l'argent et on va acheter sans tenir compte des besoins réels de la population, de la manière d'investir, de la programmation et sans connaître les objectifs à atteindre», met-il en garde. Farid Chaoui estime dans ce sens que d'énormes défis sont toujours à relever et appelle à une réflexion et à l'ouverture d'un vrai débat pour rectifier le tir et ramener «le malade au centre du système de santé».