Après le réquisitoire du parquet et les nombreuses plaidoiries, le verdict de cette affaire devait être connu hier, tard dans la soirée. Quatorze personnes, dont douze policiers, ont comparu, hier, devant le tribunal criminel d'Alger, pour leur implication présumée dans le vol de 31 armes du commissariat central entre 2006 et 2007. Parmi les accusés, des divisionnaires, des commissaires, mais également des agents de l'ordre public, des enquêteurs et deux commerçants. Leur audition par le juge Kharabi lève le voile sur une situation des plus anarchiques dans laquelle était géré le service le plus important de la Sûreté de wilaya d'Alger, à savoir le magasin d'armement, et ce, depuis des années. Ce qui a eu pour conséquence la disparition de 31 armes, des Beretta, des Smith, un fusil à pompe et des fusils de chasse. Celles-ci ont été vendues à des commerçants et n'ont pu être récupérées qu'après l'éclatement de l'affaire, en 2008, à la suite d'une plainte d'un policier qui n'a pas retrouvé son arme après son retour de congé. Le premier accusé appelé à la barre est Fliti Maâmar, fonctionnaire de la police, exerçant en tant que magasinier au commissariat central. Il reconnaît avoir vendu «seulement» 4 pistolets et un fusil à pompe. Selon lui, ces armes «n'étaient pas enregistrées. Il y avait beaucoup d'armes non répertoriées au magasin et tout le monde pouvait accéder au service», dit-il au juge. Ce dernier tente d'en savoir plus : «Pourquoi les armes n'étaient-elles pas enregistrées ?», lui demande-t-il. «Je ne sais pas, ce n'est pas mon travail et les responsables ne voulaient pas le faire puisqu'ils étaient tous au courant.» L'accusé insiste sur les quatre «uniques» armes qu'il a avoué avoir vendues, mais le juge lui fait savoir que «25 autres armes ont disparu durant la période où il était affecté au magasin». Revenant sur la vente en question, l'accusé affirme qu'elle a été faite au profit d'un commerçant, par Yahia Toufik, se trouvant dans le box. Interrogé par le ministère public sur le prix des pistolets, l'accusé révèle : «30 000 DA la pièce», puis se ressaisit : «Mais heureusement, elles ont toutes été récupérées.» Le procureur général revient à la charge : «Combien avez-vous vendu les deux fusils ?» L'accusé : «20 000 DA pièce.» Il précise néanmoins qu'il n'a en réalité vendu qu'un seul fusil de chasse et deux pistolets Beretta à des personnes «dignes de confiance». Mais le président souligne : «Non, il y a eu des repris de justice parmi les acheteurs.» L'accusé Fliti cède sa place à Yahia Toufik, un agent de police qui avait à peine trois mois de travail au service de l'administration générale du commissariat central. Un jour, dit-il, un ami à lui, qui était grossiste en alimentation générale (décédé) lui a demandé de lui débrouiller une arme. Il lui facilite la tâche. «J'ai acheté 3 pistolets, mais j'en avais besoin de 7. J'ai des chantiers dans la région de Tizi Ouzou où je suis menacé régulièrement et je ne pouvais avoir d'armes, c'était la seule manière d'être armé. On m'a dit qu'il s'agissait d'armes saisies et non pas volées.» Les mêmes arguments sont avancés par Kharfellah Karim, commerçant, également accusé. Il lui débrouille 3 pistolets, pour un montant de 140 millions de dinars ; il n'en encaisse que 5 «en attendant la régularisation des papiers». L'accusé est confronté à ses propres propos, parfois contradictoires. Mais il finit par avouer clairement les faits. Commerçant, Mahieddine Sofiane confirme ces propos. Accusé lui aussi, il déclare avoir acheté 3 armes, dont un Beretta 15 coups, à 70 000 DA, un fusil de chasse et un pistolet au prix de 90 000 DA, dont une partie devait être remise une fois les papiers régularisés. Commissaire principal, chef de l'administration générale à la Sûreté de wilaya d'Alger, Jerir Nadjib affirme que les armes individuelles n'ont jamais été enregistrées, contrairement aux armes collectives qui, elles, étaient répertoriées. Lui et ses anciens collègues Mouat Mourad (commissaire principal), Sayeh Yacine, Smaïl Djamel (officier de police), Yahiaoui Kamel (agent de l'ordre public), Hadad Mohamed (agent), Messadi Rafik (fonctionnaire) Meriah Boualem (fonctionnaire), Bousaâ Larbi (fonctionnaire) se sont tous renvoyé la responsabilité du défaut d'enregistrement des armes déposées au magasin. Ils reconnaissent une mauvaise gestion de ce service, tout en l'expliquant par une absence de texte qui oblige les responsables à recenser l'armement individuel. «Plus de 200 armes étaient déposées quotidiennement au magasin depuis 1992. Lorsque j'ai été nommé, en 2002, j'ai alerté sur cette situation à travers une quarantaine de courriers. Les armes étaient entassées sans aucune procédure et ce, depuis 1992. Il a fallu cette affaire pour que les choses bougent», précise le commissaire principal Mouat Mourad. Pour lui, «la disparition des 31 pièces était prévisible vu l'anarchie qui régnait au service». Une anarchie qu'un des accusés va illustrer. «N'importe qui pouvait entrer au magasin et prendre les armes. Il y en avait partout et les cadres pouvaient en prendre 2 à 3 en même temps», souligne Fliti. Dans son réquisitoire, le parquet a requis une peine de 20 ans de réclusion criminelle à l'encontre des deux principaux accusés, à savoir Fliti Maâmar et Yahia Toufik, assortie d'une amende de 3 millions de dinars. Le parquet a en outre requis quinze ans de prison contre trois autres accusés, Oukhetalat, Younès et Benmahieddine, assortie d'une amende de 2 millions de dinars. Pour le reste des mis en cause, une peine de trois ans de prison a été demandée. Les plaidoiries se sont poursuivies dans la soirée d'hier. Le verdict sera communiqué dans notre édition de demain.