Les experts dans le domaine énergétique ne cessent depuis les années soixante-dix de nous prévenir sur les dangers qui guettent l'économie algérienne, trop dépendante d'une rente non renouvelable. Ils ne cessent de répéter que nous ne sommes pas loin de l'épuisement de nos réserves. On évoque souvent le fameux peak pétrolier : les quantités exploitées pour la consommation interne et l'exportation sont supérieures aux nouvelles découvertes. Mais comme ces avertissements ne se sont pas matérialisés sur le terrain, très peu de gens y croient. On connaît tous l'histoire du plaisantin qui criait au secours à chaque fois qu'il plongeait en mer. Fatigué de le secourir pour rien, aucun citoyen n'est accouru lorsqu'il avait réellement besoin d'aide. Il périt victime de ses plaisanteries. Sauf que nous ne sommes pas dans le domaine des plaisanteries ! Nous avons beaucoup de sceptiques qui pensent que nous sommes en train de reproduire les mêmes appels au secours d'antan et qui ne se sont pas matérialisés. Par ailleurs, ils nous annoncent que de nouvelles technologies ou l'exploration d'immenses champs vierges peuvent inverser la donne et repousser très loin le peak pétrolier.En réalité, nous avons deux risques majeurs dans ce domaine. Le premier est lié aux quantités qui peuvent s'épuiser plus rapidement que prévu. Cette menace est d'autant plus dangereuse qu'elle ne s'est jamais matérialisée. Nous sommes peu préparés à la gérer. Le second péril est lié aux prix. Si la récession mondiale se prolonge, nous pouvons subir le piège de prix détériorés pendant une longue période. Nous avons connu une situation pareille en 1986. Mais nous n'avons pas retenu la leçon. Notre économie est peu compétitive et très mal diversifiée. Seules les importations ont prospéré au détriment du reste de l'économie productive. Erreur du type I et type II On apprend aux économistes à raisonner en termes d'erreur du type 1 et du type 2. Dans notre cas, l'erreur du type 1 est celle que nous faisons régulièrement : parler de l'épuisement des réserves et de l'effondrement des puits de l'énergie sans que cela ne se matérialise. C'est le scénario que les sceptiques refusent. Mais il y a une erreur de logique dans cette manière de voir. Supposons que l'on fasse cette erreur. Qu'adviendra-t-il ? Nous allons alors créer une «task force», une commission d'experts ou une institution stratégique qui va analyser les types de ripostes à mener. Nous allons évoquer le manque de vision stratégique, proposer de diversifier l'économie, améliorer la compétitivité de nos entreprises, mieux gérer les programmes sociaux. Le scénario de l'effondrement des revenus liés aux énergies induira des actions profondes en vue de corriger tous les dysfonctionnements économiques. Les quelques ressources qui restent seront investies pour moderniser l'économie, créer des entreprises performantes et mieux exploiter nos immenses possibilités restées en jachère, comme l'agriculture ou le tourisme. Si par la suite il s'avère que nous avons fait pour la énième fois l'erreur de considérer le scénario de l'après-pétrole alors qu'il ne se matérialise pas, ou serait le problème ? Nous aurions mis en place beaucoup de dispositions salutaires. L'économie ne peut que s'améliorer pour le bien des générations futures. Par contre, l'erreur du type 2 aura d'autres conséquences. Elle consiste à croire que le peak pétrolier sera toujours repoussé. Depuis trente ans, nous parlons de l'épuisement des réserves. Rien ne s'est jamais matérialisé. On est dans une même situation. Nous allons découvrir de nouveaux gisements et mieux exploiter ce que nous avons pour faire reculer cette échéance. Les prix pétroliers continueront leurs fluctuations, mais un niveau acceptable des prix sera maintenu. C'est le scénario de la continuité. Tout le monde espère que tel serait le cas. Mais nul ne peut le garantir. Mais le problème est le suivant : et si nous subissons une réduction drastique des prix ou un épuisement des réserves ou les deux en même temps, alors que nous n'avons aucun plan de rechange ? Et si c'était sérieux cette fois-ci ? Les conséquences de l'erreur du type 2 seraient terribles. Certes, nous avons des ressources en devises pour garantir quatre années d'importations. Nous allons puiser sur le fonds de régulation pour financer les déficits budgétaires internes. Par la suite, nous allons nous endetter, même si notre capacité va être drastiquement réduite par la chute des revenus des hydrocarbures. On aura recours à des coupes budgétaires drastiques dans tous les domaines. Comparée à notre situation, la Grèce apparaîtrait comme un parc d'attractions. Il nous faut 100 à 110 $ le baril avec une quantité de plus 1 000 0000/jour pour disposer d'un équilibre budgétaire. Nous aurons alors des remous sociaux ingérables. Les coûts de ce type d'erreur sont tellement énormes que nous ne devons jamais courir ce risque. Il vaut mieux donc courir le risque 1 : s'alarmer, constituer cette commission d'experts pour se concerter et préparer les décisions et la programmation de l'utilisation des ressources qui nous restent pour amortir le choc s'il est imminent ou accélérer l'émergence d'une économie mieux diversifiée si nous avons suffisamment de temps. L'urgence de l'action L'après-pétrole risque de nous heurter plus rapidement que prévu. Nous sommes loin d'être préparés à l'affronter. Les 500 milliards de dollars des différents plans de relance n'ont en aucun cas permis l'émergence d'une économie diversifiée et performante. Nous avons expliqué maintes fois les erreurs théoriques et pratiques contenues dans ce vaste programme d'action. Il n'avait aucune chance d'ériger une économie émergente. Tout au plus, nous aurons sur notre sol pour 100 à 150 milliards de dollars d'infrastructures en plus, la différence se dissipera en restes à réaliser, mauvaise gestion, corruption et le reste. C'est ce qui arrive toujours lorsqu'on relance une économie non assainie. Nous aurons toujours des ressources humaines sous-qualifiées, des entreprises sous-gérées, des administrations bureaucratisées et une économie mal diversifiée. Nous avons raté une chance historique de créer une économie émergente. Mais nous n'avons plus le droit à l'erreur. J'ai déjà averti que nous avons en face de nous la décennie de la dernière chance. Il nous reste peu de ressources avec une population qui ira crescendo. Nous serons cinquante millions dans un peu plus d'une décennie. Les besoins et les anticipations des citoyens sont énormes. Nous vivons maintenant avec le spectre de l'après-pétrole qui peut se matérialiser à n'importe quel moment. Bien sûr que nous souhaiterions disposer de plus de temps. Mais nous avons expliqué pourquoi il faut travailler avec le scénario de l'urgence. On ne peut plus se contenter d'espérer ou de perdre encore une décennie. Nous avons besoin d'une stratégie de riposte, et le plus rapidement possible. De nombreuses actions sont à envisager. Mais nous allons insister sur une seule : la réorganisation de l'Etat. Cette étape est fondamentale, car elle conditionne l'échec ou la réussite de l'opération de riposte. Elle consiste à structurer l'Etat pour s'assurer que l'on mobilise toute l'intelligence interne pour tirer profit de tous les atouts dont nous disposons. Nous devons mobiliser nos meilleures ressources humaines dans une institution qui dialogue avec toutes les parties prenantes de la société pour concevoir les orientations stratégiques et opérationnelles en vue de construire une économie de marché productive, efficace et qui partage mieux les fruits du développement. L'idée de profiter des expériences de la sociale démocratie fait son chemin en Algérie. Beaucoup d'éminents économistes sont arrivés à la conclusion qu'ont peut en tirer beaucoup de choses. Bien sûr que d'énormes adaptations à la culture et au contexte local sont nécessaires. Nous avons besoin d'un plan de communication urgent pour que les algériens se mobilisent derrière l'idée de créer par leur travail et leur labeur une économie de marché sociale, efficace et plus égalitaire. [email protected]