En annulant la décision de la Haute Cour constitutionnelle de dissoudre l'Assemblée du peuple (Chambre basse du Parlement), le tout nouveau président égyptien, Mohamed Morsi, engage un bras de fer avec le Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui avait récupéré le pouvoir législatif. L'institution militaire n'a pas mis beaucoup de temps à réagir ; elle a appelé, hier, au «respect de la Constitution et de la loi». Dans un communiqué diffusé par l'agence officielle Mena, le CSFA a insisté sur «l'importance de la souveraineté de la loi et de la Constitution» tout en se disant «confiant que toutes les institutions de l'Etat respecteront ce qui a été énoncé dans les déclarations constitutionnelles». L'armée exprime ainsi son désaccord avec le président de la République. Une «guerre froide» entre l'armée et la confrérie est ouverte sur fond de fragilité politique. Washington, dont l'influence est considérable sur l'Egypte, s'en mêle. La Maison-Blanche a appelé hier les Egyptiens au «respect des principes démocratiques». De son côté, la Haute Cour constitutionnelle qui avait dissous, le 14 juin dernier, l'Assemblée du peuple en raison de la non-conformité de son élection avec les lois régissant les élections, a rejeté le décret présidentiel ; elle a rappelé que «les jugements et l'ensemble des décisions de la Haute Cour constitutionnelle sont définitifs, ne peuvent faire l'objet d'un appel et sont contraignants pour toutes les institutions de l'Etat». Mohamed Morsi s'est mis à dos un appareil judiciaire souvent accusé d'être à la solde de l'ordre ancien. La décision du président Morsi met fin à «la courte lune de miel» entre la Présidence et une armée prétorienne qui compte rester dans le jeu politique et économique de l'Egypte. Elle ouvre également un nouveau cycle de luttes politiques entre les différentes forces en présence. Jeu d'échecs entre l'armée et la confrérie La démarche de Morsi a été diversement accueillie ; elle divise l'opinion publique. L'ancien directeur général de l'Agence internationale à l'énergie atomique, Mohamed El Baradei, qui a fondé le parti Dostour (Constitution), s'est opposé à l'annulation de la décision de la justice. «La réhabilitation du Parlement est une offense au pouvoir judiciaire et entraînerait l'Egypte dans un coma institutionnel et un conflit de pouvoirs», a réagi le prix Nobel de la paix. D'autres courants politiques de la mouvance libérale et de gauche, comme le Parti égyptien démocratique et social, ont aussi rejeté le choix de Morsi. Un autre parti a appelé carrément à «démettre Mohamed Morsi de son poste de Président». Un groupe d'avocats et des parlementaires ont saisi la Haute Cour, l'invitant à mettre en échec le décret présidentiel. Mais d'autres forces politiques ont exprimé leur soutien au Président «dans sa volonté de récupérer ses pouvoirs». Une grande manifestation est prévue, aujourd'hui sur la place Tahrir, pour soutenir la décision du Président. La confrérie des Frères musulmans dont est issu le président de la République a annoncé sa participation à cette mobilisation pour «soutenir le Président et le rétablissement du Parlement». L'intellectuel égyptien Alaa Aswany a également exprimé son soutien à la décision de Morsi en déclarant qu'«à ceux qui pleurent la souveraineté du droit, nous rappelons que le Conseil militaire n'avait pas le droit de proclamer une déclaration constitutionnelle complémentaire». Le Caire a connu, au lendemain de l'annonce de la déclaration constitutionnelle complémentaire et l'invalidation du Parlement, à la veille même de l'élection présidentielle, une grande mobilisation pour s'élever contre des «mesures enlevant au futur Président de larges prérogatives» et dénoncer «un coup d'Etat constitutionnel». Pour beaucoup d'observateurs, «l'entente» affichée entre Mohamed Morsi et le maréchal Hussein Tantaoui n'allait pas durer. Le nouveau Président, sous la poussée de la confrérie des Frères musulmans, devrait s'atteler, dans un jeu d'échecs avec l'armée, à récupérer ses pouvoirs. Sa décision de rétablir le Parlement dominé par les «Frères» était une manière, pour lui, de sonder sa capacité à peser face à une armée qui a fait main basse sur le pays.