En 1978, le cinéaste américain Peter Hyams prend prétexte de la science-fiction pour réaliser, avec Capricorne One, une parabole éminemment politique. Ce film -diffusé sur Arte - était venu près de dix ans après les premiers pas de l'homme sur la Lune. Un rêve fou, un fantasme d'artiste que la puissante Amérique avait su accomplir pour s'affirmer face à la non moins puissante URSS qui lui contestait la suprématie dans l'espace. Des premiers pas peut-être supposés car, aussitôt après, la validité de l'expédition lunaire avait été mise en cause. Le cinéaste Stanley Kubrick, qui réalisera plus tard 2001 - odyssée de l'espace, chef-d'œuvre du genre, alimentera la thèse d'une gigantesque manipulation en déclarant qu'il avait été requis par la Maison-Blanche pour filmer, dans un décor que seul Hollywood pouvait concevoir, l'alunissage d'astronautes américains. Kubrick dont la tête avait été mise à prix par le président Richard Nixon ne dut son salut qu'à la fuite, car il était devenu un homme qui en savait trop. Peter Hyams a repris, dans Capricorne One, l'argument kubrickien en se contentant de remplacer la Lune par Mars. Capricorne One est donc l'histoire d'un vrai faux voyage dans la planète rouge, la suggestion subliminale étant qu'il en va de même pour les premiers pas de l'homme sur la Lune. L'histoire que raconte Peter Hyams est simple mais vraisemblable : l'équipage en partance pour Mars est sommé de quitter la navette au moment du décollage. On fait croire à l'opinion publique que le vol habité a atteint sa destination. Hélas, le monde apprend que l'équipage a péri lors du retour sur Terre. Le sort des astronautes est donc scellé, mais ils parviennent à s'échapper et tentent, avec la complicité d'un journaliste, de déjouer le complot. Brubaker, le pilote chef de la mission, trouble l'éloge funèbre qui lui était rendu ainsi qu'à ses compagnons assassinés. C'est donc le procès d'un mensonge d'Etat qu'instruit le film de Peter Hyams. C'est la chronique d'une dérive totalitaire par laquelle l'Amérique se met au niveau des dictatures de la pensée que la démocratie qu'elle prétendait incarner l'autorisait à dénoncer. Capricorne One, comme d'ailleurs beaucoup d'autres films consacrés à la conquête, est à situer aussi sur un registre idéologique, celui de la guerre froide entre l'Union soviétique et le monde dit libre. Même après la chute de l'URSS et sa dislocation, l'enjeu de la conquête spatiale est resté d'actualité pour une Amérique en quête d'expansion. Depuis les années cinquante, la littérature et le cinéma américains s'étaient emparés de ce thème récurrent, la nécessité du contrôle d'un espace d'où pouvait venir le danger. Les auteurs de science-fiction ont nourri cette angoisse de l'arrivée, en Amérique, d'extraterrestres venus par exemple de la planète Mars dont Peter Hyams fait la destination d'un vol habité dans Capricorne One. Jusqu'à E.T de Steven Spielberg, cet effet d'attraction-répulsion pour les extraterrestres avait été considérablement grossi par la télévision américaine qui a lancé des séries comme Les Envahisseurs ou Les Visiteurs. On observe que ces extraterrestres choisissent toujours l'Amérique de préférence à tout autre pays ou continent. L'idée la plus soulignée est que l'Amérique est en elle-même le monde. Cette croyance a été ancrée dans le subconscient des Américains. Orson Welles avait compris cette sourde inquiétude, la fragilité psychologique de ses compatriotes. En 1942 déjà, il avait terrorisé les Américains avec une adaptation du roman de H.G. Wells, La guerre des mondes. Par milliers, ses auditeurs avaient fui leurs maisons pour chercher un abri contre les extraterrestres dont Orson Welles leur avait fait croire qu'ils avaient envahi l'Amérique. Le fait que l'Amérique ait envoyé, quelques décennies plus tard, un homme sur la Lune a-t-il pour autant exorcisé cette peur primale ? On peut croire que Stanley Kubrick ne racontait pas des histoires lorsqu'il disait que sa vie était en danger. Il avait mis son savoir-faire au service d'un lavage de cerveau collectif dont la finalité était d'entretenir l'image de grandeur de l'Amérique. Dans Capricorne One, Peter Hyams reprend à son compte cette thèse de l'imposture planifiée. S'il n'est pas un chef-d'œuvre absolu, son film n'en est pas moins à verser dans le dossier du rapport, lourd d'incertitudes, entre le fait politique et les technologies qui régiront l'avenir de l'humanité.