Le festival de Berlin vient de décerner un Ours d'or d'honneur au cinéaste américain Arthur Penn. Une récompense qui rend justice à un maître incontestable de la discipline tant Arthur Penn a influencé l'émergence d'un courant indépendant et anti-conventionnel du cinéma américain entre 1960 et le milieu des années 80. La chaîne Arte, qui retransmis la cérémonie de clôture du festival de Berlin, a pu diffuser un court entretien avec Arthur Penn dans lequel le cinéaste a livré des remarques d'une grande lucidité sur l'évolution actuelle du cinéma américain vers le créneau unique du film d'action. Agé aujourd'hui de 85 ans - il est né en 1922 à Philadelphie - Arthur Penn juge que le cinéma d'aujourd'hui ne nourrit pas l'intellect, au contraire de ce qu'il avait entrepris de faire dans ses propres films. Formé au théâtre des armées, pendant son service militaire, Arthur Penn était devenu, dans les années 50, l'un des grands metteurs en scène de Broadway. Sa renommée force l'intérêt des studios et en 1958 Arthur Penn signe son premier film Le gaucher (The left hundred gun), parabole historique dans laquelle il établit à travers le personnage de Billy le Kid -interprété par Paul Newman - un parallèle avec la violence de l'Amérique contemporaine. Arthur Penn avait été lui-même un soldat pendant la Seconde Guerre mondiale et il en avait été marqué au point de croire que l'art, celui du théâtre ou celui du cinéma, devait nécessairement s'inscrire dans la genèse des conflits. Le gaucher arrivait à un moment où la guerre de Corée était encore vive dans les consciences américaines, mais aussi dans un contexte fortement marqué par un repli dicté par les incidences de la guerre froide. L'Amérique, en la personne du sénateur Joseph McCarthy, était tombée sous la coupe d'un féroce chasseur de sorcières. Arthur Penn, avec la personnalité de William Bonney - Billy the Kid- dressait le portrait iconoclaste d'un insurgé contre l'ordre établi. La figure de l'outlaw, le hors-la-loi récurrent des westerns américains, se trouvait totalement distanciée avec Arthur Penn qui restituait le versant psychologique d'un personnage historiquement controversé. Le gaucher annonçait un grand cinéaste et de fait Arthur Penn allait confirmer ce préjugé favorable avec Miracle en Alabama (The miracle worker) qu'il réalise en 1962. C'est déjà l'un des sommets de sa filmographie que ce récit poignant de la rencontre d'une petite fille sourde, aveugle et muette, interprétée par Patti Duke, avec une institutrice - admirablement campée par Anne Bancroft- qui, elle-même handicapée visuelle, engage un terrible combat physique et psychologique avec sa jeune patiente pour la réinsérer dans la vie. Miracle en Alabama est un authentique chef-d'œuvre du cinéma mondial. Les puristes lui trouveront plus de qualités que Mickey One (1965) et Bonnie and Clyde (1967), film dont Arthur Penn affirme qu'il est l'un de ses favoris, car il représente, avec sa charge de violence esthétique, une parabole de la guerre du Vietnam. A l'actif d'Arthur Penn, on citera nécessairement le tonitruant La poursuite impitoyable (The chase) qu'il tourne en 1966. Sa grande œuvre reste incontestablement, pourtant, Little big man (1970), une fresque grandiose et décapante dans laquelle le cinéaste prend le contre-pied de l'histoire officielle en décrivant la célèbre bataille de Little Big Horn sous un jour favorable aux Indiens, alors que l'image du général Custer, présenté comme un héros national auparavant, est mise à mal dans ce film. Cette distance critique qui fait la force des films d'Arthur Penn lui vaut d'être mal vu par les puissants producteurs qui ont fait d'Hollywood un instrument de propagande de l'Amérique triomphante. Or Arthur Penn a pris le parti de décrire une Amérique désenchantée qui se réfugie derrière une harmonie de façade. Après quelques ultimes coups d'éclat comme The Missouri Breaks (1976) et Georgia (Four friends) en 1981, Arthur Penn prend ses distances avec le cinéma sans que cela s'explique par la limite d'âge ou une inspiration tarie. Il laisse, de son vivant, l'empreinte d'une œuvre exigeante qui n'a jamais fait de concessions aux compromis qui ont permis, longtemps, au cinéma américain, de travestir l'histoire. C'est cette rigueur de la démarche qui a pu être comprise, chez Arthur Penn, comme un état de révolte. Il fallait y voir de la lucidité.