Pour l'artiste nigérian Tony Allen, les parlementaires africains doivent cesser de dormir ! Samedi soir, au théâtre de verdure Saïd Mekbel de Riadh El Feth, à Alger, à la clôture du cinquième Festival international du diwan d'Alger, l'Afrique était au rendez-vous. L'Afrique avec ses couleurs, sa douceur, sa richesse, sa pluralité, ses sonorités et sa générosité. Le batteur nigérian, Tony Allen, 72 ans, le père du rythme afrobeat, et le saxophoniste et chanteur camerounais, Manu Dibango, 79 ans, le Makossa man, ont invité tous les présents à un safari musical riche en découvertes. D'abord, Tony Allen. Venu avec son big band, l'artiste qui a pendant des années accompagné tant à la direction artistique qu'à la batterie «le black president», le chef d'orchestre et grand chanteur nigérian Fela Anikulapo-Kuti, a étalé tout son savoir-faire sur sa batterie Pearl, celle qu'il préfère à toutes les autres. L'afrobeat était le plat de résistance, alimenté comme il se doit par des douceurs du jazz, de la salsa et de la musique traditionnelle du continent. L'âme Yoruba était là. Le peuple Yoruba, qui vit partagé entre le Nigeria, le Bénin et le Ghana avait, par le passé, souffert de l'esclavagisme pratiqué par les Blancs. Comme était présente aussi «la touche» de Fela, le créateur sans conteste de l'afrobeat, l'artiste rebelle. Clavier, guitare et saxophone se relayaient, se complétaient et dialoguaient pour reproduire à la perfection l'afrobeat, comme l'adore Tony Allen, auteur du célèbre album Black Voices (un opus remixé deux fois). Les cuivres soutenaient le rythme régulier de la batterie, où l'on sentait tout l'héritage du highlife et du juju, les styles musicaux nigérian et ghanéen. Le chant était là pour raconter, comme le voulait Fela, les tourments et les malheurs du Nigeria, et par extension l'Afrique tout entière. L'Afrique des coups d'Etat, des guerres civiles, de la pauvreté, de la corruption, du terrorisme, des injustices, du pillage des richesses, des vrais-faux conflits… «Nous faisons tout ce que nous pouvons pour aider le continent à travers notre musique et nos chansons. Nous lançons des messages pour attirer l'attention sur sa situation actuelle. Les autorités en place doivent veiller à changer les choses, rectifier les erreurs. Nous ne voulons plus que les personnes meurent lorsqu'elles sortent protester dans la rue. Les parlementaires africains doivent cesser de dormir et se mettre au travail», nous a déclaré Tony Allen dans les coulisses. Le batteur nigérian, qui se produit pour la seconde fois en Algérie après un premier concert au festival international du jazz, au Dimajazz de Constantine il y a trois ans, vient de se joindre au projet musical Rocket juice and the moon aux côtés du bassiste américano-australien, Michael Peter Flea (l'un des fondateurs du groupe américain Red hot Chili Peppers) et le chanteur et compositeur britannique Damon Albarn (The good, the bad and the queen, Gorillaz). Après Alger, Londres et Paris, Tony Allen ira animer le fameux été musical d'Helsinki en Finlande. «Ce que j'aime, c'est que l'afrobeat est autant joué actuellement dans le monde que la funk ou le rock. Je refuse de m'inscrire dans la philosophie de la world music (…). Je connais bien la musique maghrébine, comme le gnawa. J'ai un ami musicien algérien qui habite Paris, avec qui je joue souvent. Il m'a accompagné avec son oud. En tant que musicien africain, j'adore tout ce qui est roots», nous a-t-il confié. Tony Allen a collaboré, par le passé, à deux albums de Manu Dibango, Négropolitaines (1989) et Wakafrika (1994). Manu Dibango a remplacé Tony Allen sur scène en ajoutant une, plutout deux louches à l'ambiance déjà chaude d'une certaine nuit algéroise. Il y avait là l'african soul, le makossa, les inspirations camerounaises du Ngondo, le jazz-soul, la rumba… Manu Dibango, soutenu par deux choristes, a interprété des extraits de ces derniers album, dont Manu Safari, Ballad emotion, Africadelic (en 1973, Fela Anikulapo-Kuti avait produit lui Afrodisiac, des titres très aériens !), Wakafrica. «Je vous offre un safari musical», a-t-il lancé au public. Artiste fédérateur, Manu Dibango a réuni, par le passé, plusieurs grands noms de la scène musicale africaine comme King Sunny Ade, Youssou N'Dour, Salif Keïta, Papa Wemba autour de projets à succès dont Ami, Oh ! Samedi soir, il a repris des chansons des deux Congo (RDC et Brazaville), terre traditionnelle de musique et de chants. En 1972, Manu Dibango avait sorti un album qui aller entrer définitivement dans l'histoire de la musique contemporaine, Soul Makossa. Il sera repris plus tard par Michael Jackson dans la chanson Wanna be startin' somethin pour son album Thriller, puis par Rihanna. Comparée à Michael Jackson, Rihanna n'a pas totalement réussi sa reprise. «Ce soir, j'ai joué pour toutes les générations. On aime la musique à tout âge. Il ne faut pas être sectaire dans la musique. Je veux que des plus jeunes aux gens de mon âge écoutent un concert et s'amusent. Vous avez vu danser des personnes qui n'étaient pas nées lorsque nous avons fait sortir l'album Makossa», nous a déclaré Manu Dibango après le concert. Pour lui, les musiciens ne vont pas en studio pour créer des tubes. «C'est le public qui décide. A un moment donné, la magie s'arrête sur un morceau. Et tous les pays commencent à danser sur le même morceau ! On n'y peut rien. Didi de Khaled a fait danser tout le monde. Un musicien donne ses sentiments à la musique, aux autres de trouver le style. Pour moi, la world music ne veut rien dire. Si moi je me mets à jouer du Mozart, on va me mettre où ?», s'est-il interrogé partageant le point de vue de Tony Allen sur cette question.