Un cinquantenaire de l'indépendance sous le signe de la crise. L'Algérie n'a jamais été aussi vulnérable aux fluctuations des cours de pétrole sur les marchés internationaux. Pour certains experts, si le pétrole venait à occuper durablement les paliers inférieurs de la pyramide des prix, le scénario, pour l'Algérie, serait comparable aux clichés évoquant la plus grave crise de 1986 qu'a connue le pays. Depuis, la leçon semble évincée de tout calcul et le pays s'empêtrait, notamment depuis le début des années 2000, dans une logique qui consistait à brûler la chandelle par les deux bouts, quitte à en baver et à flirter ensuite avec les pires incertitudes. En d'autres termes, le pays est appelé à affronter les mêmes difficultés qui, au fil des années, se sont érigées en un véritable casse-tête d'ordre structurel. Avec une dépendance qui ne cessait de s'accroître envers la manne pétrolière, l'Algérie a aggravé ses vulnérabilités par une dépense irrationnelle et pesante. Rien que pour l'année en cours, la loi de finances a prévu un budget de 7428,7 milliards de dinars, dont 4608,3 milliards de dépenses de fonctionnement et 2820,4 milliards de dépenses d'équipement. Les sommes sont gigantesques. Le budget consacré aux infrastructures économiques et au fonctionnement des administrations était de seulement 1124 milliards de dinars en 2002. L'évolution de la dotation financière consacrée au fonctionnement des administrations et à l'équipement a remis le pays sur la mauvaise pente. Suite à quoi les dépenses totales du pays pour l'année 2012 ne sont soutenables qu'avec un baril de pétrole supérieur à 140. Pis encore, le prix du baril de pétrole qui équilibre le seul budget de fonctionnement, doit être supérieur à 74 dollars. C'est la quadrature du cercle. C'est pourquoi des ministres et des institutions de l'Etat se sont mis à trembler et à s'empêtrer dans les contradictions les plus flagrantes sur la soutenabilité du budget et la rentabilité du prix du pétrole. C'est comme prendre des vessies pour des lanternes, ce qui pose un réel problème de gouvernance et de stratégie. C'est ainsi que l'Algérie a laissé filer l'opportunité de toutes ces années de pétrole cher pour se retrouver aujourd'hui face au rocher de Sisyphe ; désamorcer cette dépense pesante avec moins de dégâts possible. Pour Samir Bellal, professeur d'économie à l'université de Guelma, «structurellement, la situation actuelle est appelée à durer aussi bien du côté de la structure des recettes que du côté de la structure des dépenses. C'est-à-dire que la fiscalité pétrolière continuera à fournir l'essentiel des recettes budgétaires du pays». Mais l'impact de cette situation sur l'équilibre budgétaire du pays risque de faire des dégâts, surtout que la reprise des cours de pétrole est tributaire de la conjugaison de plusieurs facteurs. Signe que le sacrifice attendu pour le pays sera tout de même assez douloureux. D'après Abdelmadjid Attar, ancien ministre et ex-patron de Sonatrach, les informations provenant des marchés du pétrole ne sont aucunement rassurantes. Absence de stratègIe «Primo, il y a trop de pétrole sur le marché du fait de la surproduction des pays du Golfe, dont l'Arabie Saoudite en particulier, et des pays non OPEP telle la Russie. Face à cela, les signaux de reprise économique aux USA, en Europe et même dans les pays émergents ne se font pas encore sentir. Les messages de reprise ne sont destinés qu'à contenter l'opinion publique. Pis encore, nous allons avoir au moins une à deux années de récession économique. Secundo, si la situation se durcit avec l'Iran à propos de son programme nucléaire, nous allons avoir une reprise autour des 100 dollars le baril, mais si l'embargo sur le pétrole iranien venait à être suspendu, il y a un risque de voir les prix évoluer en dessous des 90 dollars le baril», prévoit M. Attar. A travers ce tableau prévisionnel qui, de prime abord, ne fait que compliquer davantage l'équation de l'équilibre budgétaire, se profilent de sérieuses appréhensions à prendre en compte. «A 80 dollars le baril de pétrole, nous aurons certainement des problèmes. Tout le budget de fonctionnement est couvert par la fiscalité pétrolière», dit encore l'ex-PDG de Sonatrach. Pis encore, même dans les années 1980 annonciatrices du premier choc pétrolier, «la fiscalité ordinaire couvrait, à l'époque, le budget de fonctionnement», ce qui ne se présente point sous les mêmes couleurs, rappelle M. Attar. Samir Bellal, lui, pose le problème «d'un poids anormalement écrasant de la fiscalité pétrolière dans la structure des recettes». C'est pourquoi, faute d'avoir mis à profit les recettes pétrolières pour sortir de l'ombre les autres recoins de l'économie, «l'Algérie est devenue ainsi le pays le plus vulnérable aux baisses des cours du pétrole parmi les pays producteurs», estime Abdelmadjid Attar, lors d'un entretien accordé à El Watan. En clair, «notre situation est beaucoup plus grave que n'importe quel pays producteur, à l'exemple de la Libye, l'Iran et/ou l'Irak. Notre vulnérabilité aussi est que nous sommes de grands consommateurs d'énergie. Par exemple, pour couvrir les besoins nationaux en électricité, Sonelgaz doit mettre en service une centrale de 400 mégawatts chaque année». Une caricature qui en dit trop. S'annonce ainsi le temps des vaches maigres ; l'Etat n'a pas tardé à annoncer des économies sur ses dépenses. Il est attendu que «la première variable d'ajustement sera la dépense d'équipement. C'est-à-dire que les premières coupes budgétaires seront opérées dans les compartiments qui n'ont pas d'impact social immédiat». Viendront ensuite, au cas où la situation empire, «les différentes subventions, à l'exclusion des subventions des prix des produits de large consommation. En général, les ajustements budgétaires, chez nous, obéissent à des considérations davantage politiques. L'impératif économique n'y est pris en compte qu'accessoirement», prévoit Samir Bellal. En d'autres termes, il est prévu que si ajustement il y a, celui-ci se fera dans tous les cas sur des critères politiques à même de ne pas susciter la colère populaire. L'on annonce déjà une importante coupe budgétaire dans les dépenses dédiées à l'équipement dans le cadre de la loi de finances pour 2013 (lire l'interview de Mahdjoub Bedda). Le gouvernement, qui était pieds et poings liés faute d'un bon stratège, a désormais le couteau sous la gorge. Echec et mat.