Ici, on passe sans complexe d'une œuvre du XVIIe siècle à une création mondiale de 2012, en croisant l'incontournable Mozart, autour duquel le festival s'est créé en 1948. Virée dans le monde sensible de l'opéra. Aix-en-Provence (France) de notre envoyé spécial Les spectateurs du Festival de musique d'Aix-en-Provence, qui s'achèvera le 27 juillet, ont assisté à la naissance d'une œuvre qui devrait devenir rapidement un classique. Written on Skin, du Britannique George Benjamin, a toutes les caractéristiques d'une création qui fera date. Les ingrédients dont se nourrissaient les plus grands compositeurs du répertoire y sont ancrés solidement, avec un soupçon de modernité en sus. Le grand Mozart, dont le festival donne cette année deux œuvres magistrales, aurait applaudi des deux mains et se serait même levé avec le public du grand théâtre de Provence pour une mémorable standing-ovation. Né en 1960 en Grande-Bretagne, le compositeur Benjamin a réalisé cet opéra sur commande du Festival d'Aix. Il sera donné par la suite en plusieurs lieux en Europe. La presse unanimement ne s'y est pas trompée : «George Benjamin enlumine un opéra à l'écriture limpide», clame Libération ; «L'événement lyrique de la saison» pour arteinfo.com. «La mise en scène toujours efficace et claire, les chanteurs sont magnifiques, comme les décors et les éclairages, enfin de quoi se plaindrait-on ?», estime le Nouvel Obs. En effet, de quoi se plaindrait-on ? De rien, sauf du nœud qui enserre la gorge tout au long du déroulement de l'opéra, littéralement absorbés que nous sommes par la musique troublante et les voix des chanteurs et chanteuses pour lesquels le compositeur a écrit ses lignes mélodiques tout spécialement. L'histoire en elle-même rappelle étrangement toutes celles qui depuis plusieurs siècles hantent les scènes opératiques du monde. Il y a toujours l'amour, la relation à soi-même et aux autres, l'initiation aux plaisirs de l'existence. Tout cela avec le naturel que l'opéra d'aujourd'hui ose sans tabou. Un naturel qui transcende les frontières et en devient universel. Le synopsis est-il important. Oui, car toute la magie du verbe et du chant en dépend. Written on Skin, explore les conséquences explosives de la découverte de soi, et les limites du pouvoir qu'un être humain peut exercer sur un autre. Un riche propriétaire terrien invite chez lui un artiste chargé de réaliser un livre d'enluminures qui doit immortaliser l'impitoyable exercice de son pouvoir politique et la paisible jouissance que lui procure l'ordre domestique, incarné dans l'humilité et l'obéissance enfantine de sa femme Agnès. Mais la réalisation de l'ouvrage devient un catalyseur propice à la rébellion de l'épouse. Elle exploite sa nouvelle intimité avec l'enlumineur afin d'influencer le contenu même du livre, forçant son mari à la voir telle qu'elle est réellement. Une rencontre fusionnelle entre théâtre et musique Le tour est ainsi joué. Le public a été happé, comme il a été happé ailleurs à Aix par Les Noces de Figaro de l'incomparable Mozart majeur, et de Finta gardienera (La Fausse jardinière) qui, écrit à 18 ans, n'était pas pourtant le premier opéra de Mozart. Plus loin dans le passé, les amateurs n'ont pas boudé l'intacte l'émotion de David et Jonathas, du Français Marc-Antoine Charpentier, créé le 28 février 1688, au temps de Louis XIV. Mais pourquoi le public vient-il voir et revoir des œuvres aussi anciennes ? Pour Alain Perroux, conseiller artistique du festival, «au cours des quatre siècles de l'histoire de l'opéra, il y a des ouvrages qui se sont imposés parce qu'ils ont une capacité à toucher les gens. Ils ne sont pas uniquement dépendants de la mode d'une époque ou des vogues, c'est une question de musique mais aussi de théâtre, car dans la rencontre entre les deux, il y a quelque chose qui relève de l'universel, nous ramène à notre humanité et aux questionnements des hommes de toute éternité». Rien d'étonnant dès lors dans cette permanente remise au goût du jour. Pour notre interlocuteur, il y a au moins un point commun entre les œuvres présentées de Charpentier à Benjamin, en passant pas Mozart et Ravel, «il a le lien de la sensibilité. Les cinq opéras travaillent de manière fine sur des émotions fortes. Written on Skin est extrêmement charnel, expressif. Le public a été ébranlé par cette œuvre. Chez Mozart, le bouleversement est essentiel. Dans Ravel, on est toujours à fleur de peau. Et chez Charpentier, la dimension émouvante est dans le travail sur la musique pour parvenir à des airs déchirants en même temps que solennels. L'émotion est un élément de leur esthétique». Déjà le programme 2013 est sur les rails, avec bien sûr Mozart (Don Giovanni) mais aussi le sublime Electra de Richard Strauss, qui sera mis en scène par le comédien et réalisateur Patrice Chéreau à qui on doit une réalisation de référence de la Tétralogie de Wagner. L'opéra n'a pas dit son dernier mot. Aix y veille !