Entre la Mitidja et l'Atlas, la station thermale de Hammam Melouane a été secouée par des émeutes du logement. Des attributions jugées «arbitraires» ont déplu à la population locale qui vit dans des bidonvilles de campagne. «Darbouni ! Darbouni !» Ce cri retentit encore une semaine après les émeutes qui ont secoué Hammam Melouane, dans la wilaya de Blida. «Les casques bleus (les forces de l'ordre, ndlr). Regarde ce qu'ils m'ont fait, s'enrage Mustapha, jeune chômeur de 23 ans, le mollet encore rouge des coups de matraque reçus. Je boîte. Ce ne sont pas des êtres humains qui ont fait ça !» Dans le groupe, une quinzaine d'autres jeunes montrent leurs jambes blessées. Située à une trentaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya, sur les contreforts de l'Atlas blidéen, Hammam Melouane est un village difficilement accessible à cause du relief accidenté et surtout de la route venant de Bougara parsemée de nids-de-poule et continuellement en proie aux réfections du fait des crues hivernales de l'oued qui longe les habitations. La semaine dernière, une centaine de jeunes du village ont tenté d'investir le siège de l'APC et envahi la rue principale. Ils dénoncent l'attribution de logements sociaux à des personnes étrangères à la commune. Mais le malaise est bien plus profond. Au centre de Hammam Melouane, le complexe thermal qui en fait la réputation est en travaux, mais aucun ouvrier à l'horizon. «Ça ne nous surprend pas, constate Bachir, chauffeur de taxi clandestin. Depuis que ce complexe est géré par Mohamed Zaïm (président démissionnaire de la SSPA-USM Blida, du club de football éponyme, ndlr), rien ne fonctionne comme avant. De plus, les ouvriers qu'il a recrutés ne sont même pas de notre commune. C'est injuste, comment voulez-vous que nous n'exprimions pas notre colère ?» Beaucoup de jeunes rencontrés éprouvent le même sentiment à l'égard de Mohamed Zaïm. Mounafiq Ali a 30 ans, mais en paraît 10 de plus, avec ses cheveux blancs : «Zaïm se cache en ce moment. Il n'ose pas venir ici constater ou s'enquérir de la situation. Qu'il se rassure, nous n'avons pas touché à son complexe en travaux. De toute façon, ce complexe appartient à tous les habitants de Hammam Melouane. Mais nous voulons une explication avec lui !» La population en veut également à l'actuel président de l'APC de Hammam Melouane, Ali Sahli, qu'elle considère comme complice dans l'attribution des nouveaux logements. Sollicité, le P/APC n'était pas disponible. Aâmmi Rabah, mal rasé, malgré une fine moustache qui se dessine encore, s'offusque d'une situation qui ne peut plus durer : «Krahna h'yetna. Vous trouvez normal que des natifs de Hammam Melouane auxquels cet escroc, ce mounafiq, a promis une vie meilleure dans des logements décents, les attribue finalement à des gens de Annaba et Souk Ahras. Quand on ne tient pas ses promesses, on doit partir, c'est tout !» Mohamed Oucha, retraité, est exaspéré. Du côté de la cité El Bordj, sur les hauteurs de Hammam Melouane, le spectacle est affligeant. Un ensemble de baraques faites de briques et de zinc. Aucune «finition». Un bidonville au cœur de l'Algérie profonde, en pleine montagne, loin des zones périphériques de la capitale ou des autre grandes villes. «Cette cité avait été érigée provisoirement du temps des Français, à la fin des années 50, explique Mohamed Oucha. Regardez ma demeure, nous nous touchons presque entre nous. Ça fait des années que j'ai fait ma demande de relogement. Ici, je dors avec mes enfants, mais aussi mes petits-enfants. C'est invivable !» Dans le deux-pièces, décoré sommairement, il faut slalomer entre les plus jeunes et la table basse pour s'installer sur le matelas qui fait office de canapé. Le voisin, Ayache Oumeddi, ajoute : «Que le gouvernement constate lui-même dans quel état nous vivons. Qu'il daigne faire le déplacement d'Alger !» Des femmes, jeunes et moins jeunes, sortent de chez elles, livrets de famille à la main : certaines ont 7 enfants, d'autres déjà 4 petits-enfants. Serrés dans une seule pièce, il faut enjamber son frère ou sa sœur pour se lever la nuit. Les enfants les plus âgés dorment même sur le toit en tôle. El Hadja Samira a bientôt 70 ans. Ses cheveux blancs teintés au henné sont entourés dans un foulard bariolé. «Je suis enragée contre les élus de la commune, contre l'Etat aussi qui ne lève pas le petit doigt pour nous. Nous sommes en train de mourir. Nous n'en pouvons plus. L'été, nous grillons à petit feu comme de la kesra, et l'hiver nous gelons comme des glaçons !» Latifa, une jeune femme d'une vingtaine d'années, a laissé tomber sa scolarité très jeune. Aînée de la fratrie, elle doit s'occuper des tâches ménagères pour aider sa mère et ses sœurs. «J'aurais tellement voulu poursuivre mes études jusqu'au baccalauréat, jusqu'à l'université. On ne m'a pas laissé cette chance. Allah ghaleb !», regrette-t-elle, les mains claquant sur ses cuisses. Aïcha a des yeux bleus entourés de lunettes épaisses. «Il nous faut de l'eau et du gaz de ville, réclame-t-elle. Au moins ça, puisqu'ils ne veulent pas nous reloger.» Borma Retour au cœur du village, devant le complexe où Bachir, le chauffeur de taxi, attend à l'ombre d'un arbre. «Certains journaux ont dit que nous avions détérioré le complexe au moment des émeutes. Mais il n'y a rien. Au contraire, nous voulons que ce qui fait la fierté de Hammam Melouane reste intact. Notre village est sur une borma qui peut encore exploser à tout moment. Nous voulons plus de justice !» Son ami Hamid, lunettes noires et casquette blanche vissée sur la tête, prévient : «Il risque d'y avoir des immolations !» Dehors, les boutiques de souvenirs restent vides. Les rues sont silencieuses. Les bus déposent quelques personnes qui reviennent du marché de la ville voisine. Les habitants de Hammam Melouane attendent la rentrée sociale. Ils espèrent une nouvelle liste d'attribution de logements. D'autres pensent déjà aux élections locales de l'automne. Pour eux, la solution réside dans le départ du maire.