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Salaire et pouvoir d'achat des Algériens
comment les mettre en cohérence ?
Publié dans El Watan le 13 - 03 - 2006

Entre la théorie économique universelle (salaire de subsistance, salaire d'équilibre naturel, théorie keynésienne des revenus) et la pratique algérienne en matière de salaires, il doit bien exister des mécanismes permettant un ajustement du pouvoir d'achat plutôt qu'une augmentation nominale des salaires qui va nourrir le cycle vicieux de l'inflation (augmentation générale des prix)1.
Le niveau des salaires versés dans la sphère réelle est supérieur au niveau de salaires versés dans la sphère de la fonction publique pour des qualifications similaires. Ensuite, on constate une inégalité dans la sphère réelle entre privé étranger et privé national. Entre privé et secteur public économique. Etant souligné que l'indice des prix, équivalant au coût de la vie, est le même pour l'ensemble des sphères2. Quel que soit le niveau hiérarchique, la question des salaires taraude les esprits des décideurs politiques qui lient toute augmentation à une augmentation de la productivité. Comment la calculer dans le secteur de la fonction publique ? Alors que l'Etat suit une politique budgétaire expansionniste tant pour l'équipement public que pour les moyens matériels des services qui n'autorisent pas des économies pouvant financer la correction du niveau des salaires par augmentation nominale et par rapport au niveau moyen réel. En prévision de la tripartite qui va plancher sur le pacte économique et social, nous avons jugé utile d'apporter cette contribution pour encourager les partenaires sociaux à axer leurs revendications sur une correction de grande ampleur du pouvoir d'achat national plutôt qu'une demande d'augmentation nominale des salaires qui ne réglera rien du tout. L'expérience enseigne qu'à chaque augmentation des salaires des travailleurs, suit une augmentation des prix des biens et services qui va anéantir l'effet distributif de la croissance qui revient au secteur de la fonction publique. Avec des budgets conséquents, l'Etat, par le biais de ses agents, contribue à favoriser la croissance par l'offre et la demande du secteur public. C'est quand même les fonctionnaires qui réalisent en termes d'objectifs macroéconomiques les priorités de l'Etat dans le cadre des plans de développement court, moyen et long termes. Ce problème de salaire pose pour l'Etat un problème crucial et vital pour son devenir : comment capter la ressource humaine à haut potentiel pour s'insérer dans la globalisation dans tous les secteurs de l'activité publique ? Comment mettre à l'abri de la corruption ses personnels de tous les niveaux au bénéfice de sa crédibilité ?
Le salaire dans la fonction publique est-il un salaire de rendement ?
Dans le secteur de la fonction publique, le salaire n'est pas le résultat de conventions collectives. Il ne peut être le résultat de négociations syndicales d'un secteur par rapport à un autre à moins de décentraliser/ déconcentrer la fonction publique ou de créer deux à trois types de fonctions publiques (Etat central, Collectivités locales, Education et Santé). La fonction publique étant un secteur non marchand par excellence, les services sont rendus gratuitement à la collectivité, on ne peut parler de salaire lié au rendement quand les indicateurs de réalisation des objectifs des politiques publiques ne sont évalués nulle part. Il serait hautement souhaitable que le gouvernement nous explique pourquoi, en refusant une augmentation des salaires qu'il lie à une augmentation de la productivité, il n'entreprend rien pour corriger le pouvoir d'achat des Algériens ? Les fonctionnaires sont-ils responsables de la croissance molle du secteur marchand ? Sont-ils responsables des déficits budgétaires quand ils existent réellement ? De l'aveu officiel de la direction générale du budget du ministère des Finances, la dette publique interne, estimée à mille milliards de dinars3, est largement couverte par les disponibilités du Trésor ventilées entre la Banque d'Algérie et ses propres services au 31/12/2005. Le droit budgétaire et les règles de la comptabilité publique exigent de reverser ces sommes, chaque fin d'année lors de la clôture budgétaire, au compte recettes de l'Etat (un budget équilibré est un budget sain). Nous ne tiendrons pas compte des autres disponibilités notamment celles du fonds de régulation des recettes. Nous omettons sciemment de signaler l'amélioration de l'indice de recouvrement national de la recette ordinaire (hors hydrocarbures) ramené à 30% d'après les déclarations de la direction générale des impôts. Compte tenu de ce qui précède, nous posons la question de savoir où situer le salaire de la fonction publique : salaire au rendement, destiné à encourager la productivité des travailleurs, salaire au temps, salaire à primes qui comprend une base fixe et une prime si certaines conditions sont satisfaites, ou encore salaire à la tâche. Le salaire n'est pas le résultat d'une négociation entre employeur et employé. Le salaire minimum, indexé sur l'indice des prix et qui est le salaire minimum dû par tout employeur à un employé, demeure loin des 24 000 DA préconisés par l'Office national des statistiques et l'UGTA. Alors faut-il augmenter les salaires ou corriger le pouvoir d'achat ?
Pour une correction du pouvoir d'achat des Algériens
Peut-on faire en sorte que le pouvoir d'achat de 10 000 DA soit celui de 24 000 DA sans augmenter le niveau actuel des salaires versés ? Assurément oui, mais sous une panoplie de conditions que seul un travail gouvernemental sérieux peut réaliser s'il est mené en association avec les acteurs économiques et sociaux pour s'engager dans la durée d'un cycle de stabilisation des prix et salaires en Algérie pouvant s'étaler entre trois et cinq années visant une correction de 240% du salaire minimum avec répercussion sur l'ensemble des salaires. Le contexte de maîtrise de l'inflation ramenée à moins de 3%, la couverture de la dette interne par les disponibilités du Trésor et le niveau appréciable des réserves de change favorisent amplement un tel travail qui va combiner trois chantiers :
La parité du dinar (politique de change) : Entre la convertibilité totale qui fait craindre une fuite importante des capitaux et le réajustement de la parité à un meilleur niveau, le gouvernement peut trouver un compromis dont le résultat serait de réduire le prix à l'importation des inputs4 (jusqu'à 70%) entrant dans la production des biens en Algérie. Trêve des avantages comparatifs, dont une main-d'œuvre à bon marché n'a pas attiré les IDE, favorise plutôt la fuite des cerveaux de l'Algérie vers l'extérieur et des secteurs publics vers les secteurs concurrentiels en interne.
La réduction de la TVA5 et de l'IRG : Par ces deux actions, le bénéfice serait de réduire les prix à la consommation sans nuire aux recettes de l'Etat puisque ce dernier, en tant que plus gros consommateur et plus grand employeur, verra ses dépenses en conséquence réduites (budgets de dépenses publiques fixés en TTC baisseront dans la même propension de la baisse de la TVA). Parce que la baisse de l'IRG dégage aussi pour le salarié une augmentation de son pouvoir d'achat actuel sans augmentation nominale de son salaire. D'autres corrections fiscales, dans le sens de la baisse, peuvent venir conforter cet effort généralisé de revalorisation du pouvoir d'achat en Algérie (l'impôt sur les sociétés est particulièrement visé ainsi que les charges patronales qui devraient obligatoirement être suivies de baisse des prix et favoriser relativement l'emploi).
La maîtrise des prix à la consommation : C'est le chantier le plus dur à ouvrir parce qu'il va chercher à combiner la vérité des prix et la vérité des revenus, encore faut-il que les chefs d'entreprise jouent le jeu de la transparence pour expliquer la formation des prix de leurs biens et services qui, même si elle est libre en économie de marché, n'exclut pas le contrôle par les pouvoirs publics pour veiller à leur équilibre au bénéfice des citoyens qui ne seront que mieux protégés (rapport qualité/prix). Les services fiscaux feront l'effort nécessaire pour calculer les assiettes imposables (chiffres d'affaires et revenus nets) en fonction des renseignements fournis quant à la formation des prix à la consommation, au gros et au détail, qu'il leur sera aisé de vérifier notamment grâce aux moyens informatiques qui permettent une gestion croisée des données à l'échelle nationale. Les services du commerce et des finances peuvent encadrer la politique des prix par comparaison à l'internationale (pays à économie de marché du pourtour méditerranéen). L'inflation par les coûts se produit lorsque les prix montent pour couvrir le total des coûts et maintenir les marges bénéficiaires trop gourmandes. Une spirale coûts - prix finit par se développer lorsque tous les groupes d'intérêt et toutes les entités économiques répercutent chaque augmentation (type d'inflation existant en Algérie où la corruption est inclue dans les coûts). En Algérie, il s'agit aussi de lutter contre la spéculation et les gains faciles entraînés par le marché informel qui déteint sur le marché des prix officiels. Les habitudes d'achat des Algériens doivent changer. Le gouvernement doit les orienter par des campagnes d'information sur les prix réels pour les dissuader de persévérer dans les habitudes actuelles qui leur sont défavorables et qui posent problème à l'Etat (un kilo de pommes de terre coûte-t-il réellement 40 DA ? Est-il sérieux d'acheter un pneu neuf à près de 5000 DA, soit 50% du SMIG). La question du chômage ne doit pas priver l'Etat de mettre le holà en encadrant les jeunes qui s'adonnent à ces activités et en les faisant participer par des contributions sociales modestes au budget de la nation (cartes de commerçants ambulants, contributions trimestrielles à verser aux recettes des contributions communales, contrôles policiers dissuasifs, etc.).
Aperçu sur les mesures de stabilisation possible
Les efforts de stabilisation tentent d'annuler les distorsions produites par l'inflation et la déflation en restaurant une activité économique normale. Pour être efficaces, ces efforts doivent être soutenus et ne pas se limiter à des mesures d'ajustement occasionnelles, qui souvent ne font qu'amplifier les variations cycliques :
Une condition essentielle de succès est une croissance stable de la monnaie et du crédit ajustée à la croissance réelle et aux besoins des marchés financiers (comment sont absorbées les surliquidités actuelles qui devraient financer les innovations et la recherche-développement ?). - A long terme, la banque centrale peut influer sur la disponibilité et le coût de l'argent et du crédit en faisant varier le seuil des réserves financières obligatoires des banques, mais également par d'autres mesures. Les dépenses publiques et la politique fiscale doivent être cohérentes avec la politique monétaire pour parvenir à créer la stabilité des prix et des salaires et éviter des revirements exagérés dans la politique économique. Pour être efficaces, les efforts de stabilisation doivent comprendre des mesures monétaires et budgétaires cohérentes et soutenues. Un programme d'ajustement et de stabilisation « pouvoir d'achat - productivité » et leur rapport à la gestion budgétaire de la charge nette de la dette peut être validé par le FMI qui conseille de lier les salaires à la croissance réelle6.
Les moyens d'action comprennent une augmentation des incitations à l'épargne et à l'investissement, des efforts financiers dans la recherche et le développement de la technologie, l'amélioration des techniques de gestion et de la productivité du travail par la formation, des efforts importants pour entretenir les sources de matières premières et en développer de nouvelles7, ainsi que la réduction des réglementations superflues8. Ces mesures vont des cadres de réglementation obligatoires fixés par le gouvernement pour les salaires, les prix, les loyers et les taux d'intérêts à de simples propositions facultatives, en passant par des incitations ou des dissuasions fiscales. Les partisans de ces actions considèrent qu'une intervention de l'Etat peut compléter les mesures monétaires et budgétaires de base (passer à la loupe l'exemple français où aucun acteur n'est libre de fixer son tarif comme il l'entend dans le secteur tertiaire). Il est probable que, dans le futur, les mesures de stabilisation se concentreront sur une coordination des mesures monétaires et budgétaires et sur un renforcement des actions sur l'offre pour restaurer la productivité et développer de nouvelles technologies (énergie solaire, récupération des eaux pluviales et toutes les technologies de l'environnement à la base du développement durable). En conclusion, disons que tous les problèmes nationaux d'inflation et de déflation ainsi que les politiques relatives à ces problèmes (salaires, prix, fiscale, budgétaire, monétaire) prennent une importance accrue dans le contexte de mobilité des investissements et de la spéculation des marchés déréglementés et mondialisés de la fin du XXe siècle. Lorsque les milieux financiers internationaux peuvent changer en quelques minutes la valeur d'une monnaie ou plonger un pays dans la récession parce qu'ils fuient des mesures inflationnistes, la stabilité économique ne peut être préservée que par une gestion rigoureuse. Tout effort réel de lutte contre l'inflation ne peut être que difficile, risqué et long, parce que la rigueur tend à réduire la production réelle et l'emploi avant même que son efficacité ne se manifeste, alors que les mesures de relance budgétaires et monétaires commencent au contraire par faire augmenter l'activité économique avant de faire monter les prix. Ce phénomène explique la prédominance des politiques de relance qui nous place au milieu du gué entre l'expansion budgétaire irréfléchie, source de croissance éphémère, et les restrictions de toutes sortes, sources d'émeutes et de tensions sociales incontrôlables. Un juste milieu est à chercher au plus vite si l'on veut éviter un désordre social visible à l'horizon. Pour l'éviter, il est temps de tout remettre en ordre économique et social.
1- La plupart des économistes se sont rangés à l'idée qu'une hausse de la rémunération ne signifiait pas nécessairement une chute des emplois. Elle peut en revanche relancer l'inflation, parce que les employeurs tendent à augmenter les prix pour compenser les surcoûts salariaux. Pour éviter cette spirale inflationniste, les hausses des salaires ne doivent pas dépasser les gains de productivité.
2- Le marché algérien offre rarement une variété de produits avec des prix différenciés même pour les prestations de services publics.
3- Chiffre avancé par le président de la République, discours du 23/2/06, 50e anniversaire de l'UGTA.
4- Pour couvrir le risque de change, les importateurs affectent à leurs calculs du prix de revient un taux de change bien supérieur à celui accordé par leur banque.
5- Une action similaire a été menée par l'ancien ministre des Finances. A-t-elle été évaluée ?
6- Après avoir accepté de serrer la ceinture, les Algériens veulent profiter de l'embellie actuelle, résultat de leur sacrifice couplé au prix du baril.
7- Cessons de tenir à distance la croissance induite par les hydrocarbures quand il s'agit de salaires.
8- Pourquoi un seuil de 50 000 DA au lieu de 5000 DA comme règlement obligatoire par chèque (par rapport aux 5000 FF) ? Ne veut-on pas cibler le plus gros des transactions ? Pourquoi ce rapport de 1 à 10 y compris entre salaires et prix entre l'Algérie et la France par exemple les Algériens gagnent dix fois moins que les Français et paient dix fois plus les mêmes produits ?


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