Etait-il trop demandé ou attendu d'un dialogue décidé dans l'urgence, voire l'impérieuse nécessité de surmonter les divergences qui pouvaient détruire l'édifice politique et institutionnel libanais que l'on constate bien fragile ? Les questions qui fâchent, comme on dit, ont bien été écartées, mais elles ressurgissent et envahissent l'espace du Parlement libanais qui sert de lieu de dialogue. Les différents acteurs économiques libanais ont d'ailleurs appelé les leaders politiques à surmonter leurs divergences afin d'éviter une catastrophe économique. La puissante Fédération des Chambres de commerce, d'industrie et d'agriculture a rappelé avoir mis en garde à maintes reprises contre « une amplification des divergences politiques qui menacent d'ébranler les structures politiques, économiques et sociales » du Liban. Si elle a considéré la table ronde comme « une lueur d'espoir », elle a cependant souligné que « la suspension du dialogue (avait été) un choc pour tous les Libanais » et exhorté les leaders politiques à sauver le dialogue. La croissance économique a été très faible en 2005 en raison de la situation politique incertaine due à l'assassinat en février de Rafic Hariri, promoteur de l'économie et de la reconstruction d'un Liban ravagé par 15 ans de guerre. Aucun signe de reprise n'est apparu au 1er trimestre 2006, selon les experts économiques qui signalent un fort recul du tourisme, une stagnation des activités commerciales et industrielles et un tassement des investissements locaux et étrangers. Des mots ont d'abord suscité la méfiance, puis des sujets que l'on croyait consensuels, qui s'avèrent controversés. Comme la question des fermes de Chabaâ, un territoire occupé par Israël. Par sa position, l'Etat libanais avait, croyait-on, réglé cette question, en parlant d'occupation, et en définissant le Hezbollah comme un mouvement de résistance contre l'occupation israélienne, et qu'il n'était pas question de lui appliquer la résolution 1559 tant que durera cette occupation. Les débats se focalisent essentiellement sur le départ du président Emile Lahoud, le désarmement des combattants palestiniens et du Hezbollah libanais, et les relations libano-syriennes mises à mal par le départ des forces syriennes du pays. Les deux premiers points sont contenus dans la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée en 2004 sous l'instigation de Paris et Washington, dans le but déclaré d'empêcher la reconduction du mandat de M. Lahoud, souhaitée par Damas. Or le président Lahoud, dont le mandat a finalement été prorogé pour trois ans en septembre 2004, refuse de démissionner, le Hezbollah de désarmer. Et la reprise du dialogue avec la Syrie continue de poser problème. A cette table ronde, les principaux acteurs politiques qui tentent de trouver un terrain d'entente constituent un curieux aréopage. Les alliés de Damas sont représentés par les chefs des deux mouvements chiites : Nabih Berri, président du mouvement Amal et du Parlement, et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. A mi-chemin entre Damas et Washington, le général chrétien Michel Aoun aux ambitions présidentielles affichées et qui a récemment conclu une entente avec le Hezbollah. Et, les chefs de la majorité parlementaire, Saâd Hariri, fils de l'ancien dirigeant assassiné Rafic Hariri, Walid Joumblatt, député et leader druze, devenu le plus farouche adversaire de la Syrie, et Samir Geagea, chef des Forces libanaises autrefois allié d'Israël. Avec de tels antagonismes politiques, la conférence a tôt fait de se transformer en « dialogue des dupes », comme l'écrit cette semaine l'hebdomadaire Magazine, qui estime que ce dialogue a beau être « produit au Liban, il n'en répond pas moins à des impératifs régionaux et internationaux ». En visite à Washington alors que ses pairs débattaient à Beyrouth, M. Joumblatt a demandé au chef de la diplomatie américaine Condoleezza Rice un « soutien politique et moral » au Liban, et une « protection contre les agressions du régime syrien et de son extension iranienne ». Il y a en outre réitéré la nécessité d'un désarmement du Hezbollah. Mme Rice a souhaité qu'une élection présidentielle « libre et juste » soit organisée au Liban. Face au tollé provoqué par ses déclarations aux Etats-Unis, M. Joumblatt a dit ne pas souhaiter l'échec du dialogue, tout en campant sur ses positions même s'il devait « rester seul ». Pour compliquer les choses, les propos de Joumblatt ont été perçus comme une réponse au président syrien Bachar Al Assad, accusant quelques jours plus tôt la majorité parlementaire anti-syrienne de « comploter » contre son pays avec l'aide des Etats-Unis. On est loin des années sombres de la guerre civile, mais les Libanais eux-mêmes reconnaissent que leur pays ne pourrait pas supporter une trop grande instabilité. Les plus hauts dirigeants libanais avaient même refusé toute comparaison avec d'autres pays où se déroulaient des « révolutions tranquilles ».