Il est utile de distinguer, non pas deux acteurs principaux autour d'un projet urbain qui se respecte : le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage, mais trois ! Le troisième, et le plus important à mes yeux, est tout simplement…le maître d'usage, c'est à dire vous, moi, les autres », dira M.M., un citoyen du monde, qui souhaite apporter sa pierre et non pas un pavé à la transformation de l'approche architecturale de la cité. Les deux premiers acteurs commencent, la plupart du temps, par discuter afin de construire un projet qui leur convient bien : c'est-à-dire un projet qui est le fruit d'un savant dosage entre le programme politique du décideur, les contraintes financières, les compétences techniques connues et, en dernier lieu, les exigences socioéconomiques du maître d'usage, l'utilisateur concerné. Parfois cela fonctionne, et souvent pas du tout. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir ce que l'ignorance de la culture du patrimoine culturel et du bâti existant dans les Ziban depuis la nuit des temps peut faire commettre comme faute de goût aux concepteurs des projets architecturaux à Biskra. Tout un chacun sait que la coupole ordinaire est le signe emblématique de la région de Oued Souf, style imposé depuis des millénaires à la fois par les contraintes climatiques extrêmes et surtout par le déplacement tous azimuts, incessant, et qui plus est, envahissant du sable de l'Erg oriental. Depuis quelques années, partout à Biskra, et particulièrement dans la zone Ouest, c'est la coupole soufie, accommodée à la sauce oasienne qui domine et défigure le paysage architectural urbain, à commencer, à titre d'exemple, par l'imposant siège de la cour de justice, surmonté d'un nombre impressionnant de petites coupoles surajoutées à l'édifice, juste pour faire couleur locale soufia. A quelques encablures de là, l'on n'a rien trouvé de mieux que d'affubler le musée de la wilaya VI historique de deux coupoles, disproportionnées, disgracieuses, bosselées et qui attendent toujours d'être revêtues, au minimum, d'un papier goudron, on ne demande pas de feuilles d'or- pour au moins assurer l'étanchéité des salles de travail et de réunion qu'elles coiffent et partant éviter que les écarts extrêmes de température ne fissurent le béton dont les proportions en ciment sont à vérifier. Enfin, l'on ne peut terminer cette énumération à la Prévert sans citer les tentaculaires grands ensembles, lesquels, après avoir envahi toute la zone Ouest, à la grande satisfaction des attributaires de nouveaux logements, partent, caparaçonnés de petites coupoles, à l'assaut des premiers contreforts du Djebel Boughezoul, loin de la mer de sable de l'Erg oriental. Déjà trois types d'architecture locale cohabitent tant bien que mal dans l'agglomération de Biskra : d'abord l'original, à savoir le noyau de maisons traditionnelles en toub avec leurs terrasses en terre battue aux multiples fonctions domestiques. L'occupation française avait imposé à l'environnement oasien le damier colonial tracé au cordeau, avec ses maisons surmontées de toits en tuiles rouges, le modèle étant l'imposante maison Cazenave, qui, bien qu'ayant pignon sur l'avenue de la République, respecte les règles élémentaires de l'urbanisme, puisque l'escalier monumental qui y mène est érigé dans une sorte de porte cochère, et il ne déborde ni sur le trottoir ni sur la chaussée comme le font ceux des nouvelles habitations de nos récents concitoyens qui squattent illégalement rues et trottoirs au vu et au su de la police de l'urbanisme. Enfin, le style hispano-mauresque, représenté par l'ancien Casino de Biskra, la résidence Transat ou bien la maison Bengana, sans oublier le mythique et défunt Hôtel Royal, qu'on a cru bon de détruire pour offrir à sa place, non pas un monument comme la Grande Poste d'Alger, mais un conglomérat de bâtisses, hideuse verrue en plein visage de la reine des Ziban. Par ailleurs, le recours systématique aux constructions basses, R, R+1 ou R+2, s'est traduit, depuis une décennie, par une dilapidation de l'assiette foncière d'une agglomération enclavée, réduite à une peau de chagrin, d'où l'urgence de construire dorénavant à la verticale, à l'instar des petits Emirats du Golf qui font émerger du sable des gratte-ciel qui battent le record du monde de la hauteur.