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enfin un hôtel à Dellys !
«Le littoral» au secours d'un parc hôtelier vierge
Publié dans El Watan le 11 - 08 - 2012

A la sortie est de Dellys, sur la route de Tigzirt, à la lisière de la Plage Les Salines, se dresse un établissement hôtelier flambant neuf attenant à une station-service.
Le bâtiment de 24 chambres réparties sur trois étages s'est choisi pour enseigne Le Littoral, avec la mention «Motel» arborée sur son frontispice. Cela fait penser aussitôt aux road-movies américains. Bref, quelle qu'en soit la dénomination, l'établissement en question est le premier hôtel de Dellys. Il vient ainsi pallier un flagrant déficit en infrastructures d'hébergement. L'hôtel n'est pas encore opérationnel, mais il devrait être mis en service d'ici septembre. Nous avons rencontré son propriétaire, Ahmed Ouchaou. Docteur en mathématiques et enseignant depuis 27 ans à l'université de Bab-Ezzouar, M.Ouachaou, 56 ans, est également viticulteur. Comment un mathématicien vigneron s'est-il retrouvé hôtelier ? Portrait.
«Je suis né près d'ici, à Zaouia (8 km à l'est de Dellys, ndlr). Je suis fils de paysans. Nous sommes originaires de Tifra, dans la daïra de Tigzirt. Mais nous sommes établis ici depuis 1946. C'est une région où il n'y avait que des fermes. Le fait qu'on habitait une ferme a fait que la guerre (de libération nationale, ndlr) soit fortement présente dans notre vie. On hébergeait les moudjahidine. Je me rappelle, il y avait même un bureau de justice du FLN qui siégeait dans notre ferme», confie M. Ouchaou. Après 1962, le jeune Ahmed fera l'essentiel de ses études à Alger.
Ahmed Ouchaou, un investisseur atypique
Son bac en poche, il s'inscrit à un D. E. S. de mathématiques à l'université de Bab Ezzouar qui venait tout juste d'être inaugurée. Il part ensuite à Paris où il prépare un doctorat en mathématiques à l'Université Paris 6 (Pierre et Marie-Curie). Il y reste jusqu'en 1984. A peine sa thèse soutenue, il décide de rentrer au bercail au bout de 7 ans d'exil. «Je ne peux pas vivre là-bas. Sur le plan culturel, c'est difficile. Je suis très imprégné par mon environnement culturel. J'aime la famille, les frères, les vieilles, les belles-sœurs, les enfants qui piaillent», lance-t-il. Parallèlement à son travail d'enseignant à l'université, le Dr Ouchaou se consacre à son autre passion : l'agriculture. Il indique au passage que l'irrigation des vergers demeure un calvaire pour les fellahs de Dellys.
«C'est toujours le système D. J'ai 14 hectares, mais non irrigués. Alors, j'ai creusé une petite retenue mais cela reste insuffisant», dit-il. Ahmed Ouchaou nous confie que ce qui l'a poussé à se lancer dans l'hôtellerie, c'était d'abord un désir de se mettre à l'abri des aléas de l'agriculture : «Je voulais diversifier un peu mes entrées», argue-t-il. Il choisit pour cela un créneau porteur, sachant que Dellys, et en dépit de son potentiel touristique plantureux, ne dispose pas du moindre lit. «A l'époque coloniale, il y avait trois hôtels à Dellys : Le Beau Rivage, Le Grand Large et Le Sport Nautique», énumère notre hôte.
Des établissements qui tomberont ensuite en déshérence. Quelque chose a poussé depuis l'indépendance ? On sait que la localité voisine de Takdempt devait accueillir deux projets hôteliers. Ils ont tous deux été abandonnés en cours de route. «Pour moi, si ces projets n'ont pas réussi, c'est d'abord en raison du site qui leur a été affecté. C'est un site très accidenté. Il faut un escalier mécanique pour descendre à la plage. Il y a aussi la situation sécuritaire qui venait aggraver les choses. A cela s'ajoutent les séquelles du séisme de 2003 qui a fait bouger les structures. S'ils les avaient implantés ici (près des Salines, ndlr), cela aurait été mieux pour tout le monde. On aurait créé un bon petit pôle touristique», estime M. Ouchaou.
Un chantier démarré le… 11 septembre 2001
Hasard de calendrier : le premier coup de pioche du futur hôtel a été donné le… 11 septembre 2001, se souvient notre interlocuteur. «On a attaqué le chantier le matin avec 50 ouvriers. L'après-midi, j'apprends que Ben Laden avait détruit l'Amérique.» Dans la foulée, Ahmed Ouchaou évoque les «Ben Laden locaux» qui infestaient la région. A la clé, cette boutade pleine de vérité : «Jusqu'à 14h, tu es un homme respectable. Passés 14h, tu ne ressembles à rien ! La situation sécuritaire était extrêmement difficile.» En tant qu'investisseur s'engageant dans un projet aussi ambitieux, il aura son chemin de croix : «J'ai beaucoup souffert», soupire-t-il. «ça a été très dur d'obtenir les financements. Les banques ne sont pas tendres avec nous.» «Quand je me suis lancé, je n'avais pas d'argent. Le terrain est un terrain de l'Etat. Moi, j'ai raisonné comme un fellah. Laissons de côté l'universitaire. Je me suis dit : le terrain appartient à l'Etat, l'argent appartient aux banques qui sont des banques d'Etat. Donc, je vais construire sur le terrain de l'Etat avec l'argent de l'Etat.»
Comment a-t-il réussi à décrocher les précieux crédits sachant que notre hôte ne roule pas sur l'or ? «La loi dit que tu peux hypothéquer un terrain même si c'est une concession, ce que les banques ignoraient. Il a fallu que j'aille moi-même fouiner dans la loi de finances de 1997 et la montrer à la banque.» Mais là encore, ce n'est pas gagné. C'est le début d'une interminable procédure : «J'ai introduit un dossier pour obtenir un crédit. Il est arrivé à Alger au bout de deux ans. Cela a traîné ici, ensuite ça a encore traîné à la direction régionale de Boumerdès (de la banque sollicitée, ndlr) avant d'atterrir à Alger. Et quand il m'est revenu, c'était avis défavorable. J'ai demandé audience au directeur. J'ai fini par décrocher le crédit, mais c'était un vrai casse-tête.»
M. Aouchaou évalue le coût de son projet à environ 100 millions de DA (10 milliards de centimes). Une somme qu'il ne parviendra pas à arracher. «On m'a accordé un premier crédit de 9 millions de DA, puis une deuxième tranche de 13 millions de DA. Cela nous fait 22 millions de DA au total. Ce n'est guère suffisant pour un projet de cette envergure.» Ce qui aura pour conséquence de ralentir considérablement le chantier, d'autant plus que, comme le souligne notre professeur, «l'argent rentrait au compte-gouttes», ce qui l'obligeait à grappiller sur les gains générés par ses vignobles. «Même mon salaire d'enseignant je le mettais là-dedans», assure-t-il. «L'hôtel est constitué de 15 studios et 9 chambres. Moi, j'ai construit ma maison. Mais ma maison, c'est une seule cuisine, une salle de bains, un cabinet de toilettes. Tandis que là, tout est multiplié par 24», détaille-t-il en bon matheux.
Quid des mentions «Motel» et «Relais Routier» gravées au fronton de son établissement ? L'hôtelier entend par là apporter une petite innovation en proposant une offre flexible : «Dans les films américains qu'est-ce qu'on voit ? Un type qui a une grosse voiture, qui prend une chambre dans un motel, se repose deux petites heures avant de reprendre la route. Eh bien, c'est ça la particularité d'un motel. On peut louer pendant la journée une ou deux heures et repartir. Le client n'est pas obligé de payer toute la nuitée.» Autre particularité : «On dit souvent que le motel ne doit pas être loin de plus de 3 km d'une station-service. Moi, certains m'ont dit qu'il est trop dans la station-service, mais à l'époque c'est le plan qui a été approuvé.» De fait, l'établissement Le Littoral fait partie d'un ensemble intégré comprenant une station-service, une station de lavage et un café. Un restaurant situé en bas de l'hôtel ouvrira en même temps que la partie hébergement. Interrogé sur les tarifs qu'il compte pratiquer, M. Ouchaou dira : «Je ne sais pas encore pour les tarifs. Je vous dirais que le prix ne m'intéresse pas. J'ai tellement souffert que le jour où je m'arrêterai de financer ce chantier, pour moi, c'est la victoire.»
«Le développement, ou on le prépare ou on le subit»
Après 11 longues années de galère, et hormis quelques petites finitions, l'hôtel est fin prêt. Ne restent que les ultimes formalités administratives : l'aval des services de la protection civile et de la santé ainsi que le OK de la commission finale. L'hôtel devrait générer quelque 25 emplois directs. Son positionnement à proximité de la plage Les Salines est un atout maître qui lui assurera une clientèle estivale certaine. En plus, la réouverture de la RN24 vers Tigzirt intervient dans un timing idéal, reconnaît Ahmed Ouchaou. Pour lui, le développement du réseau routier autour du littoral va certainement booster l'économie de la région : «Après tout, Dellys, c'est la banlieue d'Alger. Les gens peuvent travailler le jour et venir passer du bon temps ici le soir», plaide-t-il.
Notons que 110 km séparent l'antique Rusucurru de la capitale. Ahmed Ouchaou en est convaincu : «L'hôtellerie est une forme d'hospitalité et participe de la culture du vivre-ensemble.» «Il est inconcevable aujourd'hui que quelqu'un de Biskra qui passe 11 mois dans sa ville, et quand il veut aller à la mer, il ne peut pas se faire héberger. Ce projet se veut donc un geste d'hospitalité.» M. Ouchaou estime que Dellys a raté trop d'occasions et que l'esprit insulaire qui a prévalu chez une partie de la population devrait laisser la place à une forme d'ouverture plus conforme à la vocation de la région.
«Dellys a de tout temps été gérée par ses enfants. Et si des choses n'ont pas marché, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Je sais qu'il y a eu deux projets que les anciens maires avaient rejetés : l'hôtel Amraoua de Tizi-Ouzou était destiné à Dellys. L'autre projet, c'était une usine de l'ONAB à laquelle le P/APc de l'époque avait refusé d'attribuer un terrain. Pourquoi ? Parce qu'une usine de l'ONAB, c'est 1000 ouvriers. Parmi eux, il y aurait eu peut-être 500 «étrangers». Le fait que certaines gens, ici, n'aiment pas «el barrani» implique que même les projets qu'ils font ne doivent pas faire participer les «autres». Et de conclure : «Le développement, ou on le prépare ou on le subit. Alors, il vaut mieux le préparer que le subir.»


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