Samedi soir, à la salle El Mouggar, ils étaient nombreux à rendre hommage au grand maître du chaâbi, Hassen Saïd. Je n'ai plus de force.» Hassen Saïd, 82, est un homme fatigué lorsqu'il s'adresse aux journalistes. Le grand chanteur chaâbi porte sur les épaules tout le poids des ans assis sur une chaise roulante. Ce samedi soir, à la salle El Mouggar à Alger, il est sollicité par tous les présents à la faveur d'une soirée hommage qui lui est entièrement dédiée, à l'initiative du ministère de la Culture. «Cette série d'hommages nous l'avons commencée par un jubilé dédié à Mohamed Tahar El Fergani, le Ramadhan 2011. A partir de là, nous avons commencé à élaborer un programme pour honorer les piliers de la chanson algérienne. Nous avons déjà rendu hommage à Chérifa, Blaoui El Houari, Rabah Deriassa et d'autres. Nous voulions leur rendre hommage de leur vivant», nous explique Zahia Bencheikh El Hocine, directrice du développement et de la promotion des arts au ministère de la culture. Elle précise que les œuvres complètes des artistes honorés sont rassemblées dans des coffrets de CD. «Nous en sommes au quinzième hommage. Après Hassen Saïd, nous allons continuer. A la faveur de la célébration du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, nous allons vers une nouvelle forme d'hommage», ajoute-t-elle. Il est prévu un programme pour collecter tous les chants chaouis. Les chansons de Ali El Khencheli, Mohamed El Aurassi, Beggar Hadda, El Hadj Bouregaa seront ainsi ramassées dans un coffret. «Nous allons honorer Abdelhamid Bouzaher de son vivant. Le chant bédoui n'est pas oublié, puisque nous envisageons de réserver un programme pour Cheikh Hamada, Djillali Ain Tadles. Nous pensons aussi aux chants kabyles et à des chanteurs tels Akli Yahiaten», indique Zahia Bencheikh. Parmi les premiers élèves d'El Anka Des amis, des voisins, des artistes, des mélomanes, des anciens compagnons, ils sont tous là, ce samedi soir, pour saluer le célèbre interprète de Siffet Ech chmaâ ou el Kandil. Natif de la Casbah, Hassen Saïd, qui a appris le coran à l'école de Sidi Ben Ali, a été l'élève de Mohamed Hcen Foudhala, grand frère du dramaturge Bahi Foudhala. Pour gagner sa vie, il a travaillé au port d'Alger. Sur le plan musical, Hassen Saïd a été pris en charge par Cheikh Mohamed Ghanem ou Lahlou. «Hassen Saïd était l'un des premiers élèves d'El Hadj M'hamed El Anka à partir de 1955. Hassen Saïd n'a pas imité le maître. Il a développé son propre style. Il s'est abreuvé de plusieurs sources, de Mohamed Lahlou pour se constituer une personnalité. Il a été dans les séances de psalmodie de coran. Il a appris correctement l'appel à la prière. A partir de là, il devenait un artiste qui ne ressemble à personne», explique Abdelkader Bendamèche, spécialiste de la musique chaâbie et commissaire du Festival culturel national de la chanson chaâbie. Selon lui, Hassen Saïd a enjolivé la chanson chaâbie en lui donnant un autre style. «Hassen a interprété du patrimoine populaire à profusion de tous les maîtres. Il a cherché les inédits. Il est considéré comme un grand chercheur de poésie populaire. Ensuite, il va vers Mahboub Bati qui lui compose une trentaine de chansons. Chaou Abdelkader est la continuation de Hassen Saïd. Il est le seul. Sa carrière est déjà riche», souligne Abdelkader Bendaâmèche. Présent justement, Chaou Abdelkader interprète Chams edha el batoul, avant d'enchaîner avec Wech machefti ya âani, une chanson de Hassen Saïd. Mais que représente Hassan Saïd pour Abdelkader Chaou ? «Depuis mon jeune âge, j'aimais le chant de Hassan Saïd, sa belle voix et sa manière d'interpréter le chaâbi. Mahboub Bati m'a aidé à me lancer après. Je crois que Hassan Saïd a arrêté sa carrière trop tôt. Il aurait dû continuer. Beaucoup ont voulu imiter Hassan Saïd sans y parvenir. En début de carrière, on peut imiter un chanteur. Mais, on ne doit pas le faire tout le temps. Chaque artiste doit avoir sa personnalité», déclare Abdelkader Chaou après le concert. «Je lui rend visite régulièrement à Clairval, là où il habite. Hassan Saïd est un monument. Je continue à interpréter ses chansons. La nouvelle génération ne le connaît pas bien. C'est dommage», ajoute-t-il. Rencontres à Bab Azzoun et au café Malakoff Khaled, fils de Hassen Saïd, estime qu'il faut penser à rendre hommage à tous les maîtres de la chanson algérienne. «Je n'ai pas fait carrière dans la musique. Mais, j'écoute le chaâbi surtout El Hadj M'hamed El Anka. Très jeune, j'accompagnais mon père aux fêtes de mariage. J'ai eu l'occasion de rencontrer El Anka. Mes oncles ont célébré leur mariage chez nous. Et toutes les soirées ont été animées par El Anka, Omar Mekraza, Boualem Titiche… Mon père et El Hachemi Guerrouabi étaient des inséparables. On rencontrait El Anka et Mustapha Skandrani chez El Hadj Noureddine à Bab Azzoun», se rappelle Khaled qui nous a aussi parlé des rencontres au fameux café Malakoff, à la basse Casbah. Il tient à remercier Abdelkader Chercham qui rend régulièrement visite à Hassen Saïd chez lui. Sur scène, Khalida Toumi, ministre de la Culture, demande à Hassen Saïd de raconter sa rencontre avec un saoudien aux Lieux saints de l'Islam, qui lui demandait si les algériens avaient de la poésie lyrique. «Je lui ai récité un poème algérien, Rakib el bouraki. Je lui ai dit, oui nous avons de la poésie melhoun. Depuis, il est devenu mon ami», répond Hassen Saïd. Khalida Toumi de répliquer : «Ils ne connaissent pas et pensent que nous n'avons rien !». Elle explique que c'est pour cette raison que les œuvres des artistes algériens sont collectées en enregistrements et en écriture pour les laisser aux générations futures. Hassen Saïd ne terminera pas pas la soirée. Il quitte la salle au milieu de forts applaudissements du nombreux public et des youyous. Imène Saher, jeune artiste de Boufarik, lance la soirée en interprétant deux chansons phares du répertoire de Hassen Saïd, Rouh thasbek ya aadra et Siffet echmaâ. Elle laisse la place à M'hamed Yacine, qui chante Omari man awed. «Hassen Saïd est l'un des piliers du chaâbi. Ce soir, j'ai interprété pour la première fois une de ses chansons. J'avoue que je l'ai découvert. Il a pu développer un style à part par rapport aux autres artistes. Il tend un peu vers le hawzi», nous confie M'hamed Yacine. De formation andalouse, M'hamed Yacine chante de la variété maghrébine et occidentale sans oublier le hawzi. Il va bientôt faire sortir un album de deux CD dont une partie andalouse «revisitée» par l'artiste. Radia Manel, elle, reprend la célèbre Ghodhban ala hbabi, alors que Samir Toumi interprète Naazaha ou nbghiha. En duo, Radia Manel et Samira Toumi chantent ensuite, Hadi mouda ouana ghrib (un titre qui fait partie d'un album sorti en 2007). A l'origine, Hassen Saïd avait interprété cette chanson avec Anissa Mezaguer. «Hassen Saïd fait partie des monuments de la chanson chaâbie en Algérie. Ils ont marqué leurn temps avec leurs titres, leurs parcours, bref, tout ce qu'ils ont donné à la culture algérienne. Nous les prenons en exemple. La nouvelle génération doit continuer à rendre hommage aux maîtres», nous a déclaré Samir Toumi. Ce dernier et Fella envisagent de sortir dans les prochains jours un album-live avec des nouveautés telles que Mazal nti mazal, une chanson écrite par Abderrahmane Djoudi.