Le nouveau film Zabana ! sera projeté en avant première le jeudi 30 août 2012 à la salle El Mouggar à Alger. Le film sera ensuite présenté le 7 septembre 2012 au Festival international de Toronto au Canada. «Après la projection officielle, nous avons prévu une sortie nationale à partir de la mi-octobre 2012. Nous avons besoin que le film soit vu. Il sera projeté même dans les prisons et les casernes», a déclaré, dimanche soir, Saïd Ould Khelifa, réalisateur du film, à la Librairie Emir Abdelkader, espace de débat du quotidien El Djazaïr News, à Alger. Zabana ! est produit par Laith Média, l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et le Centre national d'études et de recherches sur le mouvement national et la révolution du 1er Novembre. Basé sur un scénario de Azzeddine Mihoubi, le film, d'une durée de 1h50, raconte l'histoire d'Ahmed Zabana, premier nationaliste algérien guillotiné le 19 juin 1956 par l'armée coloniale française à Alger. Imed Benchenni joue le rôle d'Ahmed Zabana. Des extraits du film ont été projetés dimanche soir au public. «Tout est fiction. Ce n'est pas de l'histoire. Nous n'avons pas réalisé un documentaire. Mais, on fait appel à l'histoire lorsqu'on réalise un film sur un personnage historique. Nous n'avons pas fait un film sur un héros. Zabana est devenu héros. Ce qui nous intéresse, c'est l'individu. On parle du «Je». «Je suis Benboulaïd», «Je suis Zabana», «Je suis Ben M'Hidi»… «Un seul héros, le peuple» est une belle idée. Mais, nous avons été enfermés à l'intérieur. Zabana a fait partie d'une génération qui a dit stop à la politique et à ses limites. Il est passé aux actes», a expliqué Saïd Ould Khelifa. Il existe, selon lui, des détails dans le film que le spectateur ne verra pas. La guillotine s'est arrêtée trois fois «Le détail le plus réussi est celui qui passe inaperçu. Je n'ai pas dit à Imad Benchenni que Ahmed Zabana avait les pieds plats. Je me suis arrangé pour qu'il ait une pointure petite. Cela l'avait gêné pour marcher, mais il ne savait pas pourquoi», a-t-il dit. «Il est difficile de faire de la reconstitution. Si je n'avais pas rencontré Yacine Laloui, on n'aurait pas pu faire le film. Yacine m'a dit : ‘‘on construit la prison après avoir constaté la gêne que cela pouvait causer aux détenus pour un tournage à l'intérieur de Serkadji''. J'avais affaire à un producteur de cinéma, donc pas à un comptable !», a appuyé le cinéaste. Il a expliqué qu'une véritable guillotine de 120 kg a été ramenée pour les besoins du long métrage. «Nous avons fabriqué des boîtes d'allumettes de l'époque. Nous ne voulions pas faire semblant. Si nous on n'y croit pas, comment demander au public d'y croire. Il reste que le cinéma est l'art du vrai avec du faux», a-t-il soutenu. Citant plusieurs témoignages, dont celui du fils du bourreau qui a exécuté le martyr, Saïd Ould Khelifa a rapporté que la guillotine s'est arrêtée trois fois avant de décapiter Ahmed Zabana. «Il est plus facile de faire un travail sur Massinissa, car cela remonte à plus de 1000 ans. Ce n'est pas le cas pour Zabana. A peine cinquante ans. Ceux qui l'ont connu sont encore en vie. Pour évoquer son itinéraire, il faut 80% de faits réels et 20 % de fiction», a souligné, pour sa part, le scénariste Azzedine Mihoubi. Selon lui, Ahmed Zabana n'a pas eu le parcours de Krim Belkacem, de Mustapha Ben Boulaid ou de Larbi Ben M'Hidi. «Il était dans le mouvement national. Nous avons insisté sur son jugement, devenu un procès politique. Nous avons pris quatre ans à faire des recherches sur Zabana. Les références ne sont pas nombreuses. Plus on s'approche de ce personnage en nous basant sur des informations vraies, plus on fait sortir sa valeur», a-t-il noté. «Zabana est réduit à deux lignes dans les livres d'Histoire : ‘‘le martyr de la guillotine''. Il est plus que cela. C'est un jeune homme qui a emmené son groupe voir le film Viva Zapata ! avant de rejoindre le maquis. Il a donné un livre à son ami Stambouli sur la guerre de sécession américaine, a observé, de son côté, Saïd Ould Khelifa. Sorti en 1952, Viva Zapata !, réalisé par l'américain Elia Kazan, d'après un texte du romancier John Steinbeck, revient, avec beaucoup de liberté, sur les dernières années de la vie du héros mexicain, Emiliano Zapata. Zapata s'était soulevé vers 1910 contre le règne du général Porfirio Díaz. L'Appel du 1er Novembre dénaturé «Toutes les nuits, j'échangeais des mails avec Azzeddine pour soigner les détails. Nous ne sommes pas là à donner des leçons. Nous ne sommes pas des historiens. Nous avions du mal à trouver l'Appel du Premier Novembre. Cherchez partout, vous n'allez pas le trouver. Cet Appel a été dénaturé. Il a fallu le reconstituer», a ajouté le cinéaste. A l'origine, Azzeddine Mihoubi a écrit un texte dramaturgique sur Ahmed Zabana (monté sur scène par le Théâtre régional d'Oran). Un texte qu'il a dû refaire pour le cinéma en supprimant les faits non vérifiés. «Les Algériens lient l'histoire de Zabana à la guillotine. Pas plus. Sa vie et son combat demeurent une grande inconnue. Ils ignorent tout du rôle des avocats, de l'imam et du Père Duval. Zabana est devenu héros puisqu'il est le premier nationaliste guillotiné avant Abddelkader Farraj», a-t-il souligné. Les auteurs qui écrivent sur les personnages de la guerre de libération doivent, selon Azzeddine Mihoubi, prendre le temps pour le faire et ne pas se précipiter. «Car la recherche des informations prend beaucoup de temps. Les auteurs ont une certaine responsabilité vis-à-vis d'un martyr qui jouit d'une belle image auprès des Algériens. Il faut montrer le côté humain de ces héros. Jusque-là, le cinéma algérien est dominé par l'aspect militaire dans les films traitant de la guerre de libération nationale», a-t-il ajouté. Il a estimé que les auteurs doivent s'intéresser aux oubliés de la guerre de libération nationale. Pour reconstituer «l'ambiance» du procès d'Ahmed Zabana, Saïd Ould Khelifa s'est référé au travail de l'historienne française, Sylvie Thénault. En 2001, elle publie aux éditions La Découverte à Paris, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d'Algérie. «Sylvie Thénault empêche les juristes français de dormir. Pour elle, les nationalistes algériens ne devaient pas passer par les tribunaux militaires, puisqu'ils relevaient du droit commun. Dès le départ, le procès était biaisé. Zabana ne pouvait pas passer devant une juridiction militaire. Les avocats avaient été à peine tolérés. Le procureur était un officier», a-t-il noté. Le film montre entre autres le combat de l'avocat Auguste Thuveny dans le procès de Ahmed Zabana. Auguste Thuveny a été assassiné par l'organisation terroriste «La Main rouge» (créée par les services spéciaux français dans les années 1950) après l'explosion de sa voiture en novembre 1958 à Rabat. Le film montre également Maître Zartal accompagner Ahmed Zabana à la guillotine à Serkadji (Ahmed Zabana avait refusé de demander la grâce). Saïd Ould Khelifa a estimé qu'aucune pression n'a été exercée pour la réalisation du film en Algérie. Le scénario a été toutefois lu par le ministère des Moudjahidine. «Je ne suis pas un politique, je suis cinéaste. Dans les années 1970, il y a eu une circulaire ministérielle pour ne pas critiquer dans la presse le film L'opium et la bâton, alors que le film pouvait se défendre tout seul. Preuve en est le succès qu'il a eu après. Ahmed Rachedi n'a pas du tout sollicité cette note ministérielle. Quand Chroniques des années de braise a été projeté au festival de Cannes, El Moudjahid a publié une page dénonçant le film», a-t-il rappelé.