Chahreddine Berriah est journaliste et chef de bureau d'El Watan à Tlemcen. Il a accompagné en clandestin des migrants subsahariens de Gao, au Mali, jusqu'à l'enclave espagnole de Melilla. En cours de route, il a séjourné dans un camp informel de migrants à Maghnia, puis à Oujda, au Maroc, avant d'échouer en terre ibérique… sans ses compagnons. - Itinéraires interdits est le récit d'une expérience inachevée, celle des immigrants clandestins qui tentent, au péril de leur vie, de rejoindre l'autre rive de la Méditerranée. Votre récit, peuplé de personnages, a pour point de départ l'expérience vécue du journaliste que vous êtes. Comment avez-vous pris la décision de raconter une aventure haletante que vous aviez vous-même vécue de l'intérieur ?
A vrai dire, en allant à Gao pour un reportage sur les migrants clandestins, je ne pensais pas revenir de ma mission complétement bouleversé. J'étais parti avec des idées quasiment reçues, des a priori. Mais une fois sur place, j'ai mis de l'eau dans mon vinaigre, comme on dit. Mon humanisme a pris le dessus sur mon ego, sur mon côté exotique. Pour tout vous dire, je n'avais pas besoin de décider de raconter mon aventure. L'idée s'est imposée à moi. C'était devenu un besoin, un devoir. J'avais donc juré de faire un livre sur ces infras-humains, une sorte d'hommage à ces gens humbles, même si le terme «hommage» peut paraître inapproprié.
- Oued Jorgi, camp d'immigrants situé à quelques encablures de Maghnia (Tlemcen), votre ville natale, est le décor de ce récit de vies d'immigrants clandestins dont le souci premier est de rejoindre l'eldorado. Ce lieu est le kaléidoscope de personnages issus de communautés diverses qui s'entredéchirent. Mais vous ne vous êtes jamais départi d'un humour caustique qui transparaît dans votre texte malgré les souffrances. Comment peut-on vivre toutes ces misères et garder le sourire ?
C'est vrai, cela peut paraître paradoxal, mais pour ceux qui connaissent les Subsahariens, ces derniers ont cette magie de pouvoir rire à gorge déployée, alors que trente secondes auparavant ils pleuraient à chaudes larmes. Ils savent aussi chercher la beauté dans la laideur… Cependant, je dois reconnaître aussi que j'ai volontairement forcé un peu sur l'humour, pour que le récit, malgré toutes les souffrances, soit quelque peu optimiste, humain, naturel. Ou peut-être que ma nature ou mon fatalisme ont pris le dessus, je n'en sais rien. «Depuis ce jour, je me vois noir avec un cœur blanc. Depuis ce jour, j'ai enfourché mon destin vers l'inconnu…». Ces mots sont de votre cru. L'immigration clandestine est-elle assez pris en charge par nos compatriotes, du moins dans leur travail fictionnel ? A-t-on pris suffisamment à bras-le-corps ce problème qui ne touche pas seulement des personnes venues des pays subsahariens, mais une bonne partie de notre jeunesse ? J'ai comme le sentiment que les pouvoirs publics refusent d'accepter l'évidence. Ce phénomène existe et, dramatiquement il est toléré mais il n'est pas pris en charge. Si l'on excepte la solidarité des citoyens qui viennent en aide à ces migrants. Quant à notre jeunesse, au lieu de solutions, on lui a pondu des lois répressives la pénalisant : rêver de traverser la Méditerranée avec le statut de harrag vous vaut une peine de prison. Un beau billet de voyage, voilà ce qu'on offre à nos jeunes qui aspirent à une vie meilleure, même si je ne veux pas que nos enfants tentent cette aventure.